Baiser à Manhattan, roman érotique de Kim Messier
Baiser à Manhattan, c’est le roman érotique que nous proposent les éditions de Mortagne pour le mois d’avril (sorti le 9 avril). Disons-le tout de suite, le roman de Kim Messier, institutrice québécoise, a le mérite de ne pas surfer sur la vague SM créée par les Cinquante Nuances de Grey, et d’en rester au genre érotico-romantique. C’est son seul point positif.
Ceci mis à part, Baiser à Manhattan ne cesse d’accumuler les clichés. Une héroïne, Charline, chamboulée par une tragédie dont elle se remet difficilement – un fils mort-né à cause d’un accouchement très difficile. Son amoureux avec qui elle est depuis longtemps, gentil, attentionné, mais qui au fond ne la séduit plus car trop ordinaire, lui offre un voyage en solo à New York, ville du possible, de la nouveauté, de l’extraordinaire. Elle y rencontre un bel inconnu. Grand, séduisant, des cheveux poivre et sel, un accent craquant et un petit air ténébreux…
Alors, c’est peut-être moi qui ne suis pas bon public, qui n’aime pas le genre érotique. Je vous laisse juges. Mais, sérieusement, être sens-dessus dessous au simple contact d’une cuisse, à l’écoute d’un accent, au point d’en perdre ses moyens ? Un inconnu qui commande pour vous, vous paye le repas et veut vous revoir au plus vite, prenant le contrôle sur vous du jour au lendemain ? Désolée mais ça me laisse de marbre. On tombe dans le cliché parfait de la fille qui se pâme au moindre regard, qui passe de l’énervement à l’idolâtrie en un instant, qui ne sait pas ce qu’elle veut et adore qu’on décide à sa place, même si elle prétend à toute force le contraire. Et du bel apollon qui n’a besoin que de se passer la main dans les cheveux, de lancer des regards intenses et de laisser émaner un parfum musqué pour la faire tomber dans ses bras. Ne lui reste plus qu’à se comporter en beau ténébreux riche, et à souffler un peu le chaud et le froid pour qu’elle lui tombe dans les bras à l’insu de son plein gré, non sans moult larmes et accès de culpabilité.
Jusqu’ici, admettons. On nage dans les clichés sexistes, mais au moins le préambule de Baiser à Manhattan est passé. Passons aux scènes torrides, pour voir si elles ajoutent du sel à l’histoire. Et boum badaboum. Franchement. C’est moi ou se faire masser langoureusement au restaurant et finir par s’embrasser passionnément dans les toilettes est tout sauf crédible ? Baiser dans l’escalier du GE Building, encore moins ? Les scènes qui se passent vraiment au lit le sont un peu plus. Et plus excitantes, certes.
Mais les pensées prêtées à Charline durant leurs parties de jambes en l’air gâchent tout. « La douleur dans mon ventre redouble, se propage jusqu’à mes seins, que j’aurais envie qu’il pétrisse. Matthew commence à me pilonner. Un claquement sourd résonne dans la cage d’escalier. C’est assourdissant et excitant. », « Le plaisir monte… Ça me fait mal… C’est exaltant… Je geins. » Depuis quand avoir mal, se faire pilonner, prendre des coups de boutoir, est excitant pour une femme ? C’est non seulement faux, mais dangereux ; parce que ces clichés ne font que véhiculer l’idée de la femme comme rêvant secrètement d’être sexuellement dominée par l’homme, et perpétuer cette image fausse comme l’idéal auquel doit aspirer une relation sexuelle pour être « réussie », alors que ce n’est qu’un fantasme de domination et de plaisir unilatéral masculins. Qui n’est même pas partagé par tous les hommes – il ne manquerait plus que ça !
Et par pitié, n’allons pas rajouter là-dessus de lourdes allusions à l’importance de l’argent pour gagner le cœur d’une femme. Partout dans Baiser à Manhattan, l’auteur ne perd pas une occasion de souligner l’aisance financière de Matthew, qui a un métier l’amenant à beaucoup voyager, une grande maison à Greenwich Village, avec un jardin et un jacuzzi privés, du vin et du fromage à volonté dans son frigo et une allure d’apollon en chemise et en pantalon de ville, contrairement à Tristan, le copain de Charline, qui est développeur informatique, vit avec elle dans un petit appartement de Montréal et porte des jeans et des tee-shirts. Le plus pur cliché matérialiste qui soit : l’opposition entre l’amoureux prévenant, gentil, mignon « mais sans plus » et l’amant ténébreux, classe, riche, dont on ne connaît nullement la personnalité, mais qui ne peut qu’être « teeellement mieux » que l’autre, puisqu’il présente mieux. Excusez-moi un instant, je vais aller vomir.
Par pure bonté d’âme, je ne vous dévoile pas la fin de Baiser à Manhattan ; je vous dirai juste qu’elle est aussi atterrante et invraisemblable que le reste du livre. De l’eau de rose la plus insipide qui soit. Libre à vous de tenter d’y arriver, si vous vous sentez l’estomac assez solide.
Vous l’aurez compris, Baiser à Manhattan m’a mise en rogne plus qu’autre chose, devant la vision réductrice et fausse des relations amoureuses, de l’homme et de la femme qu’il donne à voir. Le pire, c’est que ce genre de récit pousse les gens à croire qu’il faut se comporter comme ça (comprendre : en petite dinde écervelée ou en gros macho tourmenté) pour correspondre à l’idéal de l’autre sexe, et avoir du succès. Croire à cela, c’est se fourrer le doigt dans l’œil jusqu’à l’occiput. Juste pour info.
Oh, encore pour info, pour être excitant, un livre érotique n’a pas besoin de passer par toutes ces énormités. Il suffit de lire L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence ou Point de lendemain de Vivant Denon pour s’en rendre compte. Promis, vous ne serez pas déçus.
« Matthew ne détourne pas la tête, il me mange carrément des yeux. Des fourmillements me parcourent. Au moment où je m’apprête à baisser le regard, il se lève, prend sa chaise et s’assied à côté de moi. Je me retourne vers lui, les joues rouges, et nos jambes s’entremêlent. Que va-t-il faire ? Dire ? Il met fin à mes questionnements en empoignant mon menton et en soulevant ma tête. Ses pupilles resplendissent et trouvent les miennes. Son parfum flotte tout autour de moi et me donne le tournis.
– Que veux-tu Charline ? Réellement.
Sa voix est si chaude que je brûle.»