Anomalisa : quand le public sort de l’inhumanité des blockbusters
Qu’un film indépendant se fasse remarquer, dans notre ère de cinéma où le blockbuster reprend sa place, c’est déjà quelque chose en soi. Mais que celui-ci soit un film d’animation pour adultes, et l’exploit est encore plus louable. Mais qu’en plus il soit exceptionnel, et alors c’est l’apothéose. Aujourd’hui, et pour une sortie en salles demain, on parle d’Anomalisa…
Alors qu’il est en ville pour une intervention très attendue, Michael Stone, en proie à un mal étrange qui lui fait voir le monde entier avec le même visage et la même voix, s’ennuie. Mais il entend une nuit une voix différente, celle d’une femme. Une anomalie.
Réalisé par Charlie Kaufman (le scénariste d’Eternal Sunshine on the Spotless Mind) et Duke Johnson, ce film aux multiples récompenses est encore un autre moyen de dire que le stop motion reste la meilleure manière de faire de l’animaton dite artisanale. Et un autre pied de nez à ceux qui considère ce type de cinéma, animé, comme un sous-cinéma, destiné aux plus jeunes. Fort de sa créativité, Anomalisa porte bien son nom et en dit plus que beaucoup de films « normaux », et ce sur bien des thèmes.
Car c’est autant sur le fond que sur la forme que le film est impressionnant, et le succès retentissant qu’il connaît dans le monde est plus que mérité. Force est de constater qu’Anomalisa, et c’est son principal qualité, d’autant plus louable au vu de la très courte durée du film (1h30), est un film complet, autant au niveau émotionnel que dans sa force analytique. Au niveau émotionnel, le spectateur qui tente sa chance dans ce monde hallucinogène mais réel en diable doit s’attendre à passer du rire (l’humour anglais délectable est omniprésent, dans situations et dialogues et jusqu’à l’écriture du personnage de Michael Stone) aux larmes, en passant parfois par la peur, notamment lors de la fameuse scène de désarticulation.
Sous ses couverts de film émouvant (on aura jamais vu une bande annonce trahir autant un film, le côté feel-good movie de cette dernière étant à mille lieues du résultat final), Anomalisa est surtout très inquiétant, et explore les méandres de la condition humaine d’une manière assez étrange et fascinante, mais surtout intensément originale. La maladie, la folie de Michael Stone peut faire froid dans le dos, cette forme étrange d’autisme peut paraître insupportable à vivre, mais lequel d’entre nous peut prétendre n’avoir jamais pensé qu’il était le seul à pouvoir se comprendre, dans une situation critique. Ainsi ce personnage, dont David Thewlis, qui n’aura jamais été aussi présent au cinéma qu’en ce moment, donne de la voix, est il le vecteur de sentiments humains, finalement égoistes, de la recherche d’un autre soi dans une relation : c’est bien cela qu’il faut comprendre, la personne qu’il rencontre et croit différente n’étant finalement qu’une ombre parmi d’autres, choisie parce que, comme lui, elle avait une voix différente.
L’amour, la recherche de l’autre, la folie, la relation que l’on peut avoir avec le monde, toutes ces thématiques sont donc explorées dans Anomalisa, qui se targue même, au détour de quelques passages, d’une réflexion sur notre relation avec les célébrités, quand Stone, dont tout le monde aime le travail, voit sa vie épiée jusqu’aux moindres recoins, et ses choix jugés, par des forces qui ne veulent que son bien, alors que lui, dès les premières scènes, en est à implorer, de manière plus ou moins explicite, qu’on le laisse vivre sa vie. Tout cela dans un monde qui n’est que presque humain : c’est d’ailleurs là que le spot motion, que les manionnettes utilisées prennent tout leur sens, permettant la désarticulation physique, et ainsi s’approchant de l’humain sans vraiment en être. Décision créative qui, selon les dires de Kaufman, revenait à ne « pas lutter contre les techniques d’animation employées ».
Enfin, le traitement du syndrome de Fregoli dans le film, en poussant l’analyse un peu plus loin, pourrait ne passer que pour un prétexte utilisé par Kaufman pour renforcer l‘uniformisation que connaissent les habitants de la planète, un monde où chacun se ressemble et reste à sa place, où il faut éviter de faire des vagues, et où les grands esprits ne peuvent s’associer aux démunis, de par un effet de mode effrayant de réalisme. Ainsi le film, en plus de sa force d’étude de la personne, sait-il se targuer également d’une critique lucide de la société d’aujourd’hui, où l’originalité devient uniformité lorsque tout le monde la pratique.
Unique dans son traitement physique et psychologique, Anomalisa est à voir. Ne serait-ce que pour ressentir tout ce que le film à à proposer, si le film n’est au final pas vraiment optimiste… on ne se sent que rarement aussi bien qu’en en ressortant.
AMD
On vient justement de me montrer la bande-annoncer, alors que je n’en avais jamais entendu parler et tu es la première critique que je lis. Ca me rassure de lire ce que tu en dis, parce que j’en attends vraiment énormément, et maintenant, j’ai encore plus hâte de le voir !