Âme qui vive – Véronique Bizot
Véronique Bizot, auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles couronnés de quelques prix, a publié Âme qui vive le 5 février chez Actes Sud.
Âme qui vive se déroule dans un environnement isolé de campagne montagneuse. Là, vivent le narrateur et son frère, dans une ferme à moitié ravagée par un incendie
. Leurs plus proches voisins sont un homme qui vit dans un ancien atelier d’artiste, à flanc de montagne, et un dramaturge qui réside seul dans une grande maison, entouré de livres. Par hasard ou par affinité, on ne sait, les quatre hommes commencent à se fréquenter ; peut-être pour rompre leur solitude, peut-être pour mieux l’apprécier, puisqu’ils ne parlent guère, et que le narrateur lui-même est mutique. Ce mutisme lui-même, loin d’être désapprouvé par les autres, devient peu à peu une raison pour chacun des trois autres d’apprécier ou de protéger le narrateur chacun à leur façon, sans rien en dire.
Ce qui surprend d’emblée, c’est la longueur des phrases de Véronique Bizot : leur sinuosité déconcertante où se perd presque le point final. Certains trouveront peut-être ce style d’Âme qui vive ardu à lire ; j’ai un peu peiné au début, puis les pages se sont enchaînées avec le même naturel qu’une conversation. Car c’en est une, finalement ; un long monologue ininterrompu qu’entretient le narrateur avec lui-même. Et la forme des phrases à mon sens épouse excellemment le rythme intérieur de la pensée, qui rebondit sur une idée, bifurque dans une direction puis une autre, pour s’achever juste avant qu’on ne perde le fil rouge de vue.
Cette originalité stylistique de Véronique Bizot est aussi ce qui fait le défaut du récit : à s’attacher pas à pas aux pensées du narrateur, il ne donne jamais les tenants et les aboutissants des personnages : on ne sait pourquoi ni vraiment comment chacun en est venu à habiter là, ce qu’il trouve dans la compagnie des trois autres, ce qu’ils cherchent, ce qu’ils fuient. Âme qui vive commence fortuitement et s’achève tout aussi fortuitement, comme sortant du vide pour y replonger. Vide de l’arbitraire, de la solitude, de la parole ? On ne le sait pas en refermant le livre ; c’est à peine si l’on sait quelles interrogations Véronique Bizot soulève, en les faisant remonter depuis une multitude de strates silencieuses, plus pour faire affleurer à la surface de notre esprit la conscience de leur profondeur que pour y répondre. Les blancs du récit sont laissés pour la plupart sans réponse ; toute la place est laissée au silence, aux supputations, à notre propre idée de l’histoire, et de la solitude qui s’y dévoile au sein de ces quatre hommes se tenant compagnie.
Âme qui vive, récit déceptif, fascinera ou désorientera le lecteur, c’est selon. C’est en tout cas clairement un parti pris stylistique intéressant et maîtrisé de la part de Véronique Bizot.
« Et c’est ainsi que passant un jour devant l’atelier nous avons, mon frère et moi, fait la connaissance de Montoya, un homme hirsute, vêtu d’une informe canadienne jaune moutarde et tenant deux planches à la main. Quand un peu plus tard Fouks a souhaité rencontrer Montoya, dont mon frère lui avait mentionné l’existence, il est monté là-haut avec nous. Je me souviens de ces trois hommes debout dans l’atelier, trois silhouettes sombres, immobiles, qui, après s’être saluées, sont restées silencieuses, Montoya adossé à une échelle et fumant son cigare, mon frère au centre de la pièce et Fouks, qui n’avait fait aucun commentaire sur l’endroit, face à la vitre et regardant je ne sais quoi dehors. »