Better Call Saul, deuxième round
Cette semaine s’est achevée la seconde saison de Better Call Saul, l’occasion de faire le point sur le parcours de Jimmy McGill, en attendant son retour sur nos écrans l’année prochaine.
Souvenez-vous, lorsque nous l’avions quitté l’année passée, Jimmy semblait s’être enfin débarrassé des chaines qui l’empêchaient d’assumer pleinement sa nature d’illusionniste, à savoir son besoin d’obtenir l’approbation de son frère. La preuve avait été faite non seulement que le regard de celui-ci à son encontre ne changerait jamais, quel que soit le travail honnête et minutieux réalisé par ailleurs, mais aussi que le plus manipulateur des deux n’était pas forcément le plus évident.
Pour autant, cette libération du joug de l’hypocrisie morale fut de courte durée. Ainsi, malgré le plaisir manifeste qu’il prend à arnaquer un type un peu trop arrogant à son goût, avec la complicité amusée de Kim, il fera le choix de retourner dans le girond respectable d’un autre cabinet d’avocats. C’est que son admiration pour son frère s’est à présent reportée sur cette amie de longue date, qui semble l’accepter tel qu’il est, se révèle même prête à se laisser séduire, malgré sa conception très différente de leur métier et de la déontologie qu’elle sous-tend.
Lui a-t-elle conseillé ou demandé de le faire, pour ses beaux yeux, rien ne semble nous l’indiquer. De cette nuit qui le convainc de revenir sur un chemin plus conventionnel, nous ne saurons rien, si ce n’est qu’ils forment à présent un couple. La suite de la saison nous laisse cependant entrevoir que Jimmy est plutôt du genre à aller au-devant de ce qu’il s’imagine des attentes des autres, au risque de prendre les pires décisions. Comme pour son futur client Walter White, pourtant, cette motivation altruiste camoufle en réalité un orgueil enfui qui ne demande qu’à pouvoir enfin s’exprimer.
Malgré la bienveillance de son nouvel employeur, les nombreux avantages dont il bénéficie à présent, la respectabilité que ce poste lui confère, notre héros s’y trouve pourtant bien à l’étroit. Au même titre que son mug, qui ne rentre pas dans l’emplacement de sa nouvelle voiture prévu à cet effet, Jimmy ne correspond pas à la taille standard pour adopter le moule de l’avocat-modèle, au même titre que ses collaborateurs et assistants. Surveillé, oppressé, empêché de mener son affaire à sa manière pour quelques broutilles juridiques, forcé de respecter les règles là où il préfère jouer avec, cette association ne pouvait être que de courte durée.
Et c’est donc assez logiquement avec grandiloquence, paré d’un ridicule tout assumé, qu’il finira par en sortir. C’est qu’une fois encore, sous ses allures policées, ce milieu a démontré toute l’hypocrisie et l’injustice de son fonctionnement, en pénalisant Kim pour une faute qu’il avait commise. Et là où nous avons pu observer la patience et l’opiniâtreté, mais aussi la droiture, avec laquelle celle-ci avait surmonté cet obstacle, Jimmy, qui aura toujours tendance à privilégier les raccourcis, en aura retiré sans doute un grand respect pour elle, mais aussi de la culpabilité et le besoin de se racheter.
L’aboutissement de ce détour de plus du côté « respectable » de la loi en était, dès lors, parfaitement prévisible, avec le retour très en forme de Chuck pour un duel familial sans pitié. Dégoûté par l’inégalité du rapport de force qui s’opère entre le grand cabinet représenté par son frère, plus aigri et hargneux que jamais malgré sa position dominante, et sa petite amie et nouvelle associée, à qui rien n’a été donné sans qu’elle n’ait eu à se battre pour l’obtenir, Jimmy le magicien échange la place de deux malheureux chiffres et justice est rétablie.
C’aurait pu s’arrêter là, sauf que nul n’est plus obstiné que celui qui s’estime dans son bon droit, comme le sont ceux qui se sont toujours trouvés du bon côté de la loi et de la morale. Et même si la victoire ne sera obtenue que grâce à l’amour que notre prestidigitateur au grand cœur voue à son frère, il s’agira quand même d’une victoire, dont on peut déjà imaginer les conséquences pour la saison prochaine.
Car au final, ce qui perd Jimmy, ce n’est pas d’être malhonnête, même si c’est ce qu’il se verra toujours reproché, mais c’est de l’être trop, d’avouer, d’être transparent quant à ce qu’il est réellement. Et, en cela, il représente un véritable héros, auquel on peut non seulement s’identifier mais porteur de valeur, symbole de l’authenticité individuelle face à la façade policée et honorable camouflant la violence réelle des institutions et de la bien-pensance.
De son côté, Mike a, à son tour, pris une place de plus en plus importante dans la série et son parcours solitaire mais déterminé se développe en parallèle, presque comme un écho à celui de Jimmy. Plus meurtri et désabusé, sans doute, lui aussi s’enfonce peu à peu dans l’illégalité, sans véritable cas de conscience mais néanmoins dans l’espoir de pouvoir prendre soin et protéger ceux qu’il aime. L’adversaire face auquel cette figure individuelle se dresse, par contre, ne sera plus la loi et la morale mais au contraire le crime organisé et l’absence totale de conscience qui semble habiter certains de ses représentants.
Là où d’autres trouvent leur motivation dans la satisfaction de leur égo, et ne peuvent donc passer inaperçus bien longtemps, comme ce client à la voiture démesurément ridicule, Mike n’agit ni par fierté ni par ambition. C’est ce qui le rend si redoutablement méthodique et efficace et fera de lui l’homme de main que nous savons.
Les destins de nos deux personnages se scellent donc implacablement alors qu’avance le récit de Better Call Saul. Chacun devient un peu plus ce qu’il était destiné à devenir, ce qu’il était peut-être déjà fondamentalement, et c’est absolument passionnant pour nous d’observer combien ces destins s’inscrivent dans la logique de ces personnages, si forts et si faibles, si proches et si distincts.