Crimson Peak : Alice au Pays de la Folie
Guillermo Del Toro revient avec un film de choix : Crimson Peak. Regroupant casting de noms pour les fanboys et genre très apprécié et remettant Tim Burton à sa place, Crimson Peak est un conte gothique parfait.
Pour simplifier presque à outrance, on peut dire que les réalisateurs de cinéma se divisent en deux grandes catégories : les auteurs et les faiseurs. Les auteurs, c’est ceux qui, quoi qu’il arrive et quelle que soit la qualité de leur film, proposent quasi systématiquement une vision au moins personnelle, sinon originale, du genre dans lequel ils officient, des techniques cinématographiques qui permettent de raconter leurs histoires, et même de leurs histoires en elles-même. Le faiseur, en revanche, part sur le principe de respecter à la lettre le cahier des charges du studio qui leur a demandé de faire le film, cahier souvent conforme aux habitudes et appréciation du public moyen.
La comparaison, évidemment, ne saurait être qualitative. On a vu parfois certains auteurs sortir de mauvais films car presque auto-parodiques. Prenez un réalisateur X. X est un réalisateur reconnu, aimé de tous. Mais X manque d’inspiration, ce qui ne n’empêche pas de faire du cinéma, mais toujours le même, si bien qu’il entre lui-même dans le cahier des charges qu’il a créé de toutes pièces. Vous suivez ? Exemple qui ne va pas mettre tout le monde d’accord : Quentin Tarantino, bien qu’il ne soit pas à proprement parler un inventeur, a réalisé Pulp Fiction, Reservoir Dogs, Boulevard de la Mort, qui ont révolutionné le cinéma par leur côté, certes appartenant à des genres, mais soucieux de les transcender, mais Kill Bill et Django Unchained aussi techniquement parfaits soient-ils, fonctionnent de la même manière que les autres et ne surprennent jamais. Exemple contraire : Nolan est un faiseur depuis au moins dix ans, mais il n’empêche que sa série Dark Knight, commande de studio par excellence, et son Interstellar l‘élèvent au rang de très bon réalisateur ! Ajoutons enfin qu’un auteur peut très bien faire des films de commande et rester un auteur.
Bref, l’introduction était longue mais nécessaire pour en venir au sujet de Guillermo Del Toro. Le suspens, pour qui connait un peu le cinéma du monsieur, n’est pas énorme : c’est un auteur. Les Hellboy, Blade 2, le Labyrinthe de Pan … Beaucoup sont des films de commande mais le Maestro mexicain y a insufflé son style bien à lui, plein de créatures décharnées (numériques ou non), de plafonds craquants et d’esthétique baroque. Il propose même cela dans les films qu’il se contente de produire, comme par exemple Mama (film de faiseur, pour le coup). Après une relative absence des écrans, GDT est de retour cette année avec une histoire pleine de pleurs, de fantômes, de sursauts et de vengeance : bienvenue à Crimson Peak.
Film avec des fantômes, donc, et non pas film de fantômes. Dès le début du film, le personnage joué par la plus que convaincante et émouvante Mia Wasikowska, écrivaine de (plus ou moins) métier, critiquée sur la présence de fantôme dans son écrit, répond avec maestria qu’il ne s’agit pas d’une histoire de fantôme, mais d’une tragédie dans laquelle, il se trouve, évolue un fantôme. C’est bien comme ça que le film peut être perçu : si il s’attache dans sa scène introductive, et même un peu au delà, à respecter les carcans du cinéma d’horreur contemporain (jumpscares nous voilà), l’auteur espagnol ne le fait que pour mieux prendre son spectateur à contrepied, le fantôme n’est absolument pas le méchant de l’histoire, et n’en est même pas le centre. Del Toro, d’entrée, montre donc qu’il sait ce qu’il fait en théorisant sa propre oeuvre. Pas mal.
Non, le vrai sujet du film, comme c’est souvent le cas chez Del Toro, sont les relations entre humains, ou plutôt entre être vivants. Le sujet semble une fois de plus passionner le réalisateur, qui propre alors une écriture très riche en possibilités d’analyse et intéressante sur, notamment, les liens de famille souvent destructeurs, et l’évolution d’une jeune adulte qui, dans un tel milieu, doit apprendre à s’adapter, mais surtout à comprendre ces relations pour mieux les assimiler, et ainsi apprendre à mettre fin aux problèmes qu’elles peuvent engendrer. Si rien ne va à Crimson Peak, ce n’est pas parce que la maison est hantée (même si elle l’est), mais à cause des raisons pour laquelle elle l’est : la noirceur ne passe pas, comme parfois chez cet autre grand auteur gothique qu’est Tim Burton, par le monde des morts, mais vient du monde des vivants, de ses imperfections, de ses doutes, et surtout de ses excès. A la manière, déjà, du Labyrinthe de Pan, le nouveau Del Toro est violent mais c’est une violence nécessaire et témoignant d’un véritable intérêt scénaristique. C’est cette richesse thématique, autant que visuelle mais on y viendra, qui fascine le spectateur devant Crimson Peak, surpris par un réalisateur qui cache décidément très bien son jeu.
Au niveau technique, car un fond seul, si il est évidemment louable, ne suffit pas, le film témoigne là aussi d’une quasi-perfection. Le décor est somptueux (on avait pas vu une aussi belle maison hantée depuis La Dame en Noir), le jeu des couleurs est tel qu’on a parfois l’impression d’une véritable œuvre picturale mouvante, dans la tradition du genre. Les trouvailles et hommages visuels sont légion, entre le liquide rouge sur le dol qui n’est pas sans rappeler la maison qui saigne d’Amityville, la maison qui geint presque tant elle est vielle… Le réalisateur sait très bien ce qu’il fait, connait tous les artifices de terreur et n’hésite pas à les transcender. Del Toro, qui avait déjà proposé quelque chose de somptueux dans son Labyrinthe de Pan, est très en forme également niveau créatures, son fantôme est au moins à moitié une création numérique, et pourtant époustouflant de beauté, dégoulinant de sang et absolument terrifiant niveau sonore (à la manière du spectre de The Grudge, voilà un cri qui devrait rester dans les mémoires). L’image globale, au delà du décor, est filmée avec talent, contre-plongées, beaux plans d’ensemble et plans-séquences s’enchaînant de sorte le rendu est finalement aussi superbe que les acteurs, Jessica Chastain atteint les sommets dans un rôle difficile de femme froide et calculatrice, et Hiddleston arrive enfin à être convaincant, dans un rôle très complexe d’amoureux transi, à la fois manipulé et manipulant.
Après le foutraque Pacific Rim, qui ne saurait être d’autre qu’un rêve d’enfant réalisé tardivement à l’âge adulte, Guillermo Del Toro, vous l’aurez compris, est bien de retour comme avant dans le genre dramatique et fantastique. Le travail de création visuelle et thématique qui le caractérisent nous ferons toujours nous demander, à nous les fans de Tolkien, ce qu’il serait advenu si il avait comme prévu réalisé la trilogie du Hobbit. Quelque chose de meilleur peut être (bien que le travail de Jackson soit d’une indéniable qualité), ou au mons de plus viscéral, avec plus de possibilité d’analyse. En tout cas, on attend son prochain film (Hellboy 3? ) avec impatience …
AMD