Unfriended, de la naissance du non-film
Bien que considéré par beaucoup de cinéphiles comme le genre de la facilité, voir de la médiocrité, force est de reconnaître que le genre du film d’horreur a souvent su s’approprier les trouvailles filmiques de l’évolution du cinéma pour en tirer de bonnes choses. C’est l’exemple du Blair Witch Project ou de Paranormal Activity, qui ont su à leur manière renouveler le found footage.
Mais un autre cas de figure est beaucoup plus rare, et c’est celui que représente Unfriended. Tourné avec un budget tout à fait dérisoire et dans un laps de temps record (1 million de dollars seulement pour 16 jours de tournage), le film réalisé par le presque inconnu au bataillon Levian Gabriadze appartient donc à un tout autre exemple : celui du film qui, non content d’appartenir à un genre usé jusqu’à la corde, va justement se servir de cela pour créer un tout nouveau genre de cinéma.
Plus qu’un film d’épouvante, Unfriended (auparavant nommé Offline, titre plus évocateur mais bien moins puissant) s’en retrouve avant tout un film d’auteur, tourné d’une manière proprement inédite, arrêtez moi si je me trompe, dans toute l’Histoire du Cinéma. En effet, le film de Levian Gabriadze place le spectateur du point de vue d’un écran d’ordinateur, si bien que, durant une heure et demie, ce dernier voit l’écran sans contact extérieur d’un personnage ou quoi que ce soit qui puisse nécessiter une action physique. Le cinéphile lambda que je suis se retrouve donc bien embêté (mais ravi), de reconnaître qu’on ne peut parler du film de manière conventionnelle, n’étant ni bien ni mal filmé, mais, en quelque sorte, non-filmé. Pas de mouvements de caméra ou autre, mais un écran statique comme on en a en permanence sous les yeux : on en vient à se poser la question de savoir si l’objet qui nous est montré peut vraiment être défini comme du cinéma, dont la première caractéristique est justement d’être filmé? N’a-t-on pas ici découvert un autre genre de cinéma? Difficile de répondre à cette question qui, on l’espère sincèrement, fera débat. Mais force est de reconnaître que l’objet est foncièrement original, inédit.
Du point de vue du reste de l’objet en question, le critique est soulagé de pouvoir parler du film comme il le fait d’habitude : il dispose bien d’un scénario, d’acteurs et est évidemment monté ! Au niveau du scénario, la structure en est très classique, on comprend vite qui est le personnage préféré du scénariste, qui est sa bête noire, qui est la blondasse inutile, et donc qui va survivre, sans bien sûr savoir l’ordre des morts. Un suspens donc mitigé, une surprise qui l’est aussi, mais quelques bonnes idées dans la manière qu’ont les personnages de mourir, le film n’hésitant pas à être trash quand il le faut. Enfin, tire Unfriended vers le haut sa réflexion sur ce qu’est l’intimidation, et quelles peuvent en être ses conséquences, message essentiel dans une société qui, aujourd’hui, se permet beaucoup sous couvert de l’anonymat permis par Internet. Au niveau de la terreur, le film propose comme promis un nouveau genre de peur, un sentiment étrange et inhabituel d’oppression et de fascination.
En ce qui concerne les acteurs, la plupart sont des petits nouveaux du cinéma, comme souvent dans le cinéma de genre, et s’en tirent tous très bien, malgré le fait que, excepté le personnage principal, interprété avec talent et justesse par la superbe Shelley Henning, tous n’aient pas la possibilité d’exploiter totalement leur talent, le principe même du film les obligeant parfois à n’apparaître qu’en « petit format » à l’écran. Qu’à cela ne tienne, le film, sans faire de miracles, fonctionne très bien de ce côté là, rien de bien choquant.
Enfin, Unfriended, c’est surtout un énorme travail de montage. Peu de jours de tournage, disions nous, mais une période très importante de travail au niveau du montage, puisque c’est sur quoi repose le principe même du film. Facebook, Skype, Google (Chrome), Facetime, tout apparaît comme dans la réalité sur l’écran, et les dialogues s’enchaînent avec les recherches internet avec une précision et un réalisme plutôt saisissants. On ne se mentira pas, c’était le vrai challenge du film de Levian Gabriadze, une cohérence essentielle entre les actions fait se réussite, et on en retire une profonde admiration pour le monteur Parker Laramie.
Quelles peuvent, pour finir, être les craintes et espérances à retirer d’un possible succès du film? Beaucoup sont à formuler : la crainte, à la manière d’un Paranormal Activity, de suites et émules grossières et faites dans la précipitation et par appât du gain. La crainte, paradoxale face à la première, d’une ignorance ou du manque de compréhension par le public et les producteurs de l’ambition et du côté génial du concept. Mais aussi l’espérance d’un renouveau d’un genre qui, en exceptant quelques films comme ceux de James Wan ou de Scott Dericksson, semble être arrivé à date de péremption. Ce film pourrait bien, dans le cas d’un succès qu’on lui espère, marquer le signe d’une nouvelle ambition, d’une élévation du cinéma d’horreur.
AMD