Birdman : vol au-dessus d’un nid de coucous
On attendait beaucoup de Birdman, le nouveau film d’Alejandro Gonzalez Inarritu. D’abord parce que celui-ci sort de Biutiful, qui avait gagné le prix d’inteprétation masculine à Cannes, mais aussi pour son casting pléthorique emmené par le phénix Keaton. Verdict
Birdman est l’histoire de Riggan Thompson, un acteur dont la notoriété est uniquement due à son rôle du super-héros Birdman, dans 3 films, il y a des années. Après avoir refusé Birdman 4, il se lance dans l’adaptation d’une pièce de Raymond Carver au théâtre. A la fois acteur et metteur en scène, il va découvrir par cette expérience chaotique que l’actorat est bien plus compliqué qu’il n’y paraît, et que le succès n’est souvent qu’une illusion…
Birdman est un conte. Le conte de Riggan Thompson, un conte initiatique dans lequel Riggan cherche un état de grâce qu’il trouverait pleinement justifié, et non de par la notoriété qu’un film de super-héros lui apporterait. Cela, Alejandro Gonzalez Inarritu le réalise très bien pour trois raisons : d’abord en prenant, et donc en relancant, Michael Keaton, acteur rentré dans le rang depuis, justement, le rôle du super-héros Batman, et qui cette année avec Birdman, Need for Speed, et Robocop tente de revenir sur le devant de la scène. Ensuite, par son choix dans la manière de filmer : tout le film va donner l’impression d’être un plan-séquence unique de 2h, caméra à l’épaule, à la manière de Hitchcock pour La Corde, multipliant les fondus en fin de bobine. Enfin, par l’idée réellement géniale de donner un alter ego, matérialisé en Birdman, au personnage de Riggan Thompson, ce qui, associé à l’impression de plan-séquence, nous donne un accès illimité aux faits et gestes les plus intimes de Riggan. D’inspiration bunuelienne et salvadordalienne, cette affaire de schizophrénie, qui lâche les chevaux à la fin est littéralement le point névralgique du personnage, autour duquel le film tourne. Loin de nous donner une pauvre approche lointaine du metteur en scène, Inarritu nous permet ainsi de voir Riggan en tant qu’acteur et en tant qu’humain, oscillant ainsi de l’illusion à la réalité. Car c’est bien l’illusion qui est au centre de ce film.
Riggan est le type même de l’acteur à la gloire éphémère, seulement retenu pour un seul rôle qui le hante désormais, et donc victime typique d’Hollywood, comme l’a été en son temps Anthony Perkins, qui a tourné pas moins de 3 suites (oui oui, 3, sortez les mouchoirs) à Psychose. Avec Birdman, Inarritu parle de la difficulté de rebondir après un rôle marquant, et appuie là où ca fait mal : le succès est toujours illusoire, mais notre ego est toujours plus grand. Ainsi qu’Inarritu l’a dit, Birdman est ce qui naît du conflit entre le moi (faire une pièce de théâtre et renoncer à Birdman) et le ça (tout plaquer et faire Birdman 4) de Riggan, se battant sur comment être reconnu, basculant entre réel et surréel, un surmoi qui gagne en puissance à la mesure de l’intensité du film, servie par la petite musique jazz d’un batteur, en fil rouge du film, indicateur des battements du coeur de Riggan. Tout un équilibre précaire qui inonde le film, en particulier la petite troupe névrosée de Riggan : Naomi Watts joue Lesley, la blonde complexée et terrifiée par le public, chose dont profite la plus sauvage /nympho / folle Laura (Andrea Riseborough) pour lui faire un remake de la scène lesbienne de Mulholland Drive, tandis qu’en parallèle, le fantasque / égocentrique / incontrôlable / bellâtre Mike Shiner (Edward Norton), dont rien que le nom est une caricature de l’acteur hollywoodien à succès, tente d’imposer ses conceptions en sexe comme au cinéma à Riggan et à son ex-toxico de fille Sam (Emma Stone). C’est là que la facon de tourner comme un plan-séquence entre en jeu : peu de prises, donc beaucoup d’authenticité, beaucoup de « sur le moment », mise en abyme effrénée et survitaminée des angoisses du métier d’acteur.
Cette approche qui pourrait presque faire passer le film pour une expérience si on ne connaissait pas le réalisateur et les acteurs accentue un peu plus la minceur de la frontière entre réalité des faits et ambition de faire. Et cela, Sam Thompson, la fille de Riggan, le symbolise parfaitement : elle pourrait être une actrice ratée, partie en toxico après une grosse dépression. C’est en soi ce qu’elle est, quelque part, puisqu’elle est l’assistante de son père. Mais plutôt que de se laisser marcher sur les pieds, elle fait face, ne recule pas devant un Mike qui se déshabille devant elle, et est le point d’ancrage dans la réalité de son père, se chargeant de le lui rappeler par un discours plein de spontanéité sur le rapport entre célébrité et réseaux sociaux. Et c’est bien cela que Riggan n’a pas compris, c’est que tout a changé, qu’avec l’avènement d’Internet et de l’informatique, abolissant toute barrière temporelle, tout, y compris le succès et la reconnaissance : on ne peut pas capitaliser sur un film, une franchise ; ce sont des impressions fugaces, fugitives, qui ne marquent le public qu’en tant qu’il performe un coup de boutoir dans la perception de celui-ci, qui ne retiendra aucun message. C’est ce que tente de lui expliquer Mike Shiner : lui est vrai sur scène, mais fait semblant dans la vie. Le personnage de la critique Tabitha Dickinson est le double d’Inarritu, faisant acerbement comprendre à Riggan qu’à moins d’avoir une idée de génie, sa pièce ne sera jamais que « celle mise en scène par Birdman » et rien d’autre. Et c’est quand Riggan s’en rend compte qu’il atteint la postérité, tranchant entre lui-même et Birdman. La surprenante vertu de l’ignorance (sous-titre du film), est celle de pouvoir tout bâtir à partir de rien. Difficile de ne pas voir ici une critique de l’industrie des super- héros, symboles même de l’éphémère au cinéma, et représentés dans le film par un surgissement incongru d’une scène d’action ainsi que quelques références moqueuses à Downey Jr, les Avengers ou encore Jeremy Renner.
Très théâtral, empli de thématiques freudiennes et méta-cinématographiques, agrémenté d’une touche sud-américaine propre à Inarritu dans la folie des personnages, Birdman est une véritable perle qui doit s’imposer comme candidat sérieux aux Oscars. Servi par un Keaton impeccable qui justifie parfaitement la confiance accordée, un Norton incroyable, une Emma Stone excellente (candidate sérieuse à l’Oscar elle aussi) et un Zach Galifianakis tous deux à contre-emploi, le film joue avec maestria sur tous les registres à un rythme tel qu’on croirait entendre notre coeur battre ! En cela, la fin du film, qui explore la frontière entre la réalité et l’imagination à trois reprises de manière consécutive, est haletante. Cette fin est toutefois interloquante, nous laissant sur une impression encore plus incrédule, d’une manière qu’on ne saurait dire si elle est frustrante ou pas. Mais au vu du reste du film, who cares ?
Le film sort au cinéma le 25 février : ne le manquez pas !