Gabrielle, roman de la maturité d’Agnès Vannouvong
Gabrielle est le nouveau roman d’Agnès Vannouvong, publié fin janvier au Mercure de France. Après le récit d’aventures amoureuses qu’était son premier roman Après l’amour, Gabrielle semble être le roman de la maturité. Agnès Vannouvong aborde le sujet des couples homosexuels qui, dépassant la trentaine, commencent à penser aux enfants, avec tout ce que cela implique. Elle raconte aussi l’histoire de Gabrielle, la narratrice, avec Hortense, de vingt ans son aînée.
Roman de la maturité amoureuse, Gabrielle se compose de chapitres plus ou moins courts, qui traitent de personnages et de points de vue différents. La narratrice semble avoir rassemblé diverses pensées, réflexions, observations, et expériences. Avec comme sujet central l’histoire d’amour entre Gabrielle et Hortense, ainsi que celle de François et Malik, couple de parisiens, qui aimeraient avoir un enfant. Autour d’eux, l’atmosphère française qui a précédé la loi autorisant le mariage et l’adoption pour tous, l’amour caché, dissimulé, les mensonges à la famille, et par conséquent le manque de confiance en l’avenir, en soi-même, la fatalité, et l’espoir. L’espoir de trouver un jour l’amour fort et sincère qui permettra de traverser la vie sereinement et de voir la réalisation de projets importants : la parentalité en l’occurrence.
Tout comme dans Après l’amour, Agnès Vannouvong fait preuve d’une très grande sensibilité. Elle choisit ses mots directs, parfois crus, et nous entraîne dans le tourbillon du quotidien de sa narratrice, qui voyage entre Paris et Genève pour son travail, et pour Hortense. Elle nous donne à connaître les pensées d’autres personnages par l’intermédiaire de passages isolés. Malik, le jeune maghrébin devenu boulanger dans le quartier de Belleville, dont la mère a disparu trop tôt, terrifié à l’idée de décevoir son père à l’annonce de son homosexualité. Bridget, la trentenaire célibataire, qui perd peu à peu confiance en les hommes et en l’amour. Hortense, l’amoureuse de Gabrielle, qui a déjà deux enfants, une vision plus distanciée, optimiste. C’est elle qui permettra à Gabrielle de voir la vie autrement, de révéler en elle d’autres envies, d’autres horizons.
Je voulais un enfant. On voulait tous des enfants. On quittait doucement les rives de la trentaine, médusés, un peu abîmés. On avait fait des choix de vie, et la liberté avait un prix. Il suffisait de se regarder, là, de près, pas besoin de loupe, l’effet de réel agrandissait les blessures, les rides aux coins des yeux, le pli sur le front, les mèches blanches, à l’œil nu. On avait nos vies égoïstes et confortables, nos sorties, les bistrots, les verres, les concerts, le théâtre, le cinéma. De la culture et de l’émotion sans limite. Il nous manquait pourtant quelque chose. On voulait transmettre, procréer, vivre une aventure hors de soi, donner la vie, éduquer des enfants.
Agnès Vannouvong assume son style parfois décousu, la volonté d’insérer ici et là des pensées, qui marquent une pause dans le récit, mais permettent également de changer de point de vue. Typiquement, le chapitre sur le débat que François ouvre au sein de sa classe de primaire fait écho à la déclaration d’amour de Gabrielle à Hortense. Alors que Gabrielle se laisse aller à la poésie que l’amour fait naître en elle, les enfants de la classe de François, et toute la France, pèsent le pour et le contre des familles homoparentales.
Gabrielle va au-delà de ces sujets. Le roman parle aussi de la difficulté à trouver l’autre « parfait pour soi ». Agnès Vannouvong aborde le thème de la confiance en l’autre, la capacité à s’abandonner, la peur de souffrir.