Zero Theorem : Brasilia
Terry Gilliam vient, jogging – sweat – queue de cheval – barbe de 3 jours, nous présenter, je cite, sa « vision du monde ». Eh bien les fans de Brazil ne seront pas décus, car Gilliam revient ici à ses fondamentaux SF qui avaient fait son succès. Gilliam tente une nouvelle fois de trouver le sens de la vie, dans le registre si chaotique qui est le sien. A défaut de le trouver, il touche de nouveau au feu sacré qui l’avait fait réaliser Brazil. Décryptage.
Terry Gilliam entre dans la salle. Il salue le public, fait des signes de la main, il est content, il est chaleureux… On dirait Liam Cunningham avec un sourire. Et là, fidèle à lui-même et à sa partie Monty Python, il déclare, en français dans le texte : « Si René Descartes était vivant, il dirait : « je tweete donc je suis« . Ce film est ma vision du monde actuelle ; je me pose la question de savoir si l’on peut être déconnecté du monde, car beaucoup de gens deviennent comme le personnage principal ». Des années après Brazil, Terry Gilliam se pose à nouveau la question de l’importance de la société, de ses vices et de ses vertus et de la place de l’individu dedans : acteur ou collaborateur, responsable ou victime ?
S’il est difficile de ne pas penser à Brazil, Gilliam assure ne pas y avoir donné suite dans The Zero Theorem, car, dit-il, « Le futur est désormais réalité et nous sommes les prisonniers de ce futur, notre rapport aujourd’hui avec la réalité est virtuel ». Sapé comme un hippie, Gilliam vient donc nous annoncer son ressenti des choses, et ce n’est pas beau à voir. Dans un Londres futuriste dépassé par la technologie, surpuissante au point qu’une pub peut vous harceler dans la rue, omniprésente par la multitude d’écrans colorés et bourrés de messages subliminaux, on retrouve notre « héros », Qohen Lath ( le génial Christoph Waltz, la boule à zéro ), espèce de Gollum moderne, vivant dans une chapelle abandonnée, et qui cherche la solution au « Zero Theorem » ( tout serait égal à zéro ) et ainsi découvrir le sens de l’existence. Son obsessionnalisme l’a rendu borderline au point que non seulement il s’exprime par « nous », mais en plus il attend un appel qui lui donnera la réponse aux questions qu’il se pose. C’est dire le personnage. Alors quand surgit dans sa vie le fils (Lucas Hedges) du Directeur (Matt Damon, avatar de Big Brother) ou encore la pin-up Bainsley, « infirmière informatique » (excellente Mélanie Thierry), la remise en cause est totale.
Forts de ces informations, on entre dans un monde à la fois sombre et coloré, un monde à la fois communicatif et à la fois complètement isolateur, où l’interconnectivité est telle que les gens ne se parlent presque plus. Gilliam s’affole alors dans son délire démiurgique en nous mettant aux prises avec un anti-héros total, n’ayant littéralement aucune ressemblance avec nous. C’est là que le choix de Christoph Waltz et de sa voix mécanique mais suave se retrouve payant : l’Autrichien, « débarrassé de tous ses trucs d’acteur » selon Gilliam, se fond parfaitement dans ce rôle robotique. Il a pris la mesure de son rôle comme il prend son téléphone, nu, dans la première scène du film : en un claquement de doigts, loin de l’impitoyabilité de Inglorious Bastards. Qohen est un symbole parmi les symboles, dans ce monde chaotique où une caméra a remplacé la tête du Christ, et où les vitraux ont l’air plus démoniaques que rassurants. Telle semble être, à travers le film, l’antre des idées de Terry Gilliam. Le réalisateur prophétise dans cette fresque bariolée la déconnexion de la réalité et par conséquent l’aliénation totale à la machine. Tout le monde est connecté via la machine, et la rencontre est toute aussi virtuelle. Qohen est la victime de cette servitude volontaire, qui ferait presque penser à eXistenZ, de David Cronenberg. L’absence de finalité de l’existence qu’il cherche à prouver, au fond, c’est lui qui l’illustre parfaitement : très peu de sorties, les doigts vissés sur une manette, les yeux rivés sur l’écran, et, de son propre aveu, bosser à la maison est bien mieux. Le personnage intermittent du Directeur incarne quant à lui le totalitarisme institutionnel auquel il s’est soumis en échange de son propre confort égoïste Le très bon Lucas Hedges, qui incarne Bob, le fils du Directeur, est là, facon Truman Show, pour rappeler Qohen à la dure réalité, à la toute-puissance orwellienne de son père. Le moment où Bob arrive marque une rupture avec le constat pour entamer un voyage initiatique qui transporte Qohen dans le monde qui l’entoure, vivant le choc des générations, mais vivant aussi les sentiments.
Traitant le feu par le feu, Gilliam traite magistralement et de facon, littéralement, surréaliste le problème de la réalité du monde, de ses vices et vertus. C’est là que se dérègle la machine : car Gilliam se perd dans des considérations métaphysiques braziliennes parfois dures à suivre, et on a l’impression que comme son personnage, Gilliam a un peu pété les plombs. Quitte à faire une parenté avec son premier né, autant la soigner, mais cela se transforme en maladresses : l’histoire d’amour qui trempe un peu dans l’eau de rose, l’incursion de deux personnages en costard-cravate seulement menacants par l’aspect et à l’importance douteuse… Le sort des personnages est réglé presque à la va-vite et de facon assez simpliste, tandis que la fin est assez décevante, voire même prévisible. Le bariolé devient criard, et le rythme se fait de plus en plus lent, rendant le film presque lourd et assez éprouvant physiquement ( déjà que psychologiquement, faut s’accrocher… ).
Film avec un lien évident avec Brazil, et Christoph « Qohen Leth » Waltz ayant indubitablement des liens avec Robert « Archibald Tuttle » DeNiro, The Zero Theorem est un bon film, mais un film assez inégal, avec une première heure ( environ ) qui tient la route, malgré la silhouette surplombante de son aîné, mais avec une deuxième partie qui se traîne un peu comme un boulet, assez préjudiciable compte-tenu de ce qu’on avait en tête en allant voir ce film. Retrouver l’univers de Terry Gilliam et admirer la performance des acteurs lui donne toutefois un charme certain
Le film sort dans nos salles le 25 juin.