De toutes les nuits, les amants – Mieko Kawakami
De toutes les nuits, les amants de la japonaise Mieko Kawakami, est sorti dans sa traduction française chez Actes Sud le 5 mars. A trente-six ans, Mieko Kawakami a déjà plusieurs cordes à son arc : musicienne, actrice et romancière, cette diplômée de philosophie a reçu le prix Akutagawa en 2007 pour son premier roman, Seins et Œufs. De toutes les nuits, les amants, le second, s’attache à décrire le cheminement personnel d’une femme renfermée en elle-même.
On a dit que De toutes les nuits, les amants était un roman sur la lumière, sur la condition féminine dans la société japonaise, sur l’importance du travail au Japon… Ce sont certes des thèmes qui courent en filigrane tout le long du roman. Mais ce qui ressort en premier de cette lecture, c’est la solitude, l’enfermement sur soi porté à un tel degré qu’il en rend la narratrice, Fuyuko, incapable de poser des mots sur ses émotions, de véhiculer réellement ce qu’elle veut dire, incapable de supporter le regard d’autrui sur elle. Jusqu’à se sentir étrangère à la société japonaise tout entière, à ne plus comprendre ce qu’elle a de commun avec les gens, à ne plus savoir du tout comment se comporter en présence d’autrui sans mourir de timidité.
Fuyuko est depuis quelques années correctrice free-lance dans l’édition. Elle vit seule, sans aucun lien affectif, sans famille, sans conjoint. Elle n’a aucune distraction hors de son travail, sans pourtant faire montre d’aucune ambition professionnelle, et semble entièrement détachée de la société, au point de ne pas pouvoir entretenir de conversation avec quelqu’un d’autre sans peiner. Elle ne sort se promener que le jour de son anniversaire en hiver, seule, pour voir les lumières de la ville dans la nuit.
A l’égal de sa solitude, elle est très timide et introvertie, mène sa vie effacée sans en demander plus. Quand, un jour, elle s’aperçoit dans la vitre d’un immeuble et se trouve proprement misérable. Alors elle se met à boire pour échapper à sa propre timidité. A son seul contact régulier, sa responsable éditoriale, Hijiri, qui l’abreuve de ses monologues péremptoires, s’ajoute alors, suite à une mésaventure dans un centre culturel, M. Mitsutsuka, qu’elle prend peu à peu l’habitude de voir toutes les semaines dans un café pour entretenir une conversation coupée de longs moments de silence.
Par-delà les divagations un peu longues de Hijiri sur les filles et les garçons, les explications de M.Mitsutsuka sur la lumière, ou l’exploration des sensations qu’apporte l’alcool à Fuyuko, par-delà ces plages d’existence parfois lourdes, accablantes de mal-être et de solitude, c’est le silence des êtres et des choses que De toutes les nuits, les amants nous fait toucher du doigt. Un silence plus assourdissant et accablant que le brouhaha de la rue ou le débit intarissable des femmes qui parlent dans ce livre. Plus essentiel aussi, puisqu’il touche à l’incertitude de l’existence auxquelles toutes les femmes qu’on rencontre dans De toutes les nuits, les amants sont confrontées, et qui paralyse Fuyuko plus qu’autre chose.
Fuyuko déconcertera ou agacera peut-être les lecteurs, mais De toutes les nuits, les amants ne laissera pas son public indifférent. Le style en est délicat, tout en retenue, et agréablement imagé par moments. Le récit est parfois trop traînant, s’apitoyant trop longuement sur les difficultés de la narratrice, et part parfois dans des digressions gratuites. Mais l’atmosphère du livre n’en est pas compromise et, l’un dans l’autre, tout cela aboutit à renforcer cette impression de silence perceptible, presque palpable, que l’on éprouve en le refermant.
« Je me suis laissée porter un moment dans le train avec ce sentiment de légèreté, mais à rester assise à regarder les autres passagers à l’air presque tous radieux dans ce wagon débordant du soleil de début d’été, j’ai commencé à baisser les yeux, et cette sensation que j’avais pourtant eue tout à l’heure en sortant de la maison d’édition, j’en étais certaine, s’est bruyamment effondrée sur elle-même, pliée au carré, grande d’abord comme un papier à dessin, puis rétrécissant à vue d’œil à tenir dans la main, puis, sans même le temps de la retenir, confetti inidentifiable avant de disparaître complètement.»
Plus d’informations sur De toutes les nuits, les amants, sur la page dédiée du site d’Actes Sud.