Les plis de la terre – Anuradha Roy
Les plis de la terre est le second roman d’Anuradha Roy. L’auteure indienne, qui vit à Ranikhet, ville nichée à 2.000 mètres dans l’Himalaya, nous parle de ce monde longtemps épargné des bouleversements politiques, sociaux, économiques, qui touchent le reste du monde.
Suite à la mort brutale de son mari lors d’un trek de haute montagne, Maya quitte Hyderabad, une grande ville dans la plaine du Gange où elle avait toujours vécu, pour une petite ville de l’Himalaya, Ranikhet, au pied des sommets où il a péri, et refait lentement sa vie au sein d’une communauté villageoise disparate et haute en couleur.
C’était un début prometteur et bien mené. Les premières pages des Plis de la terre nous plongent excellemment dans le deuil de Maya, puis dans l’entrelacs de personnages qui repeuplent peu à peu sa vie dévastée. Parmi eux, certains se détachent, semblent prendre en main l’intrigue, chacun avec leur objectif propre. Charu la petite paysanne qui apprend à lire et à écrire avec Maya pour répondre aux lettres de son amoureux Kundan Singh parti à Delhi, Ama, sa grand-mère, commère du village qui cherche à la marier, Puran, son oncle attardé mental qui a un don avec les animaux, Veer, le neveu énigmatique de Diwan Sahib, guide de haute montagne, qui apparaît et disparaît sans prévenir, dont nul ne connaît les motivations, qui aura une brève liaison avec Maya… Ou encore Mme Wilson, la directrice de l’école de Maya qui cherche à faire triompher le christianisme et l’éducation bien pensante face à l’hindouisme et l’ignorance.
Le fil d’intrigue de chacun des personnages pourrait être porteur de sens, d’énergie, de développement pour Les plis de la terre. Mais ils s’enchevêtrent, se tordent, se diluent et finalement se désagrègent tous. Seule Charu parvient à apprendre (péniblement) ses lettres, puis à rejoindre Kundan et à se marier, mais il n’est fait nulle mention de ses retrouvailles ni de son mariage ; on les apprend plus tard comme un fait accompli. Ama échoue donc à la marier comme elle le voulait. Maya, après avoir cru se reconstruire, voit sa nouvelle vie atomisée par la mort de Diwan Sahib qui lui enlève son logement, et la découverte du rôle qu’a joué Veer dans la mort de son mari. Cette révélation, pour surprenante qu’elle est, arrive comme un cheveu sur la soupe après toute une cascade d’événements qui arrive ramassée à la fin du livre, après plusieurs dizaines de pages où il ne se passe pas grand-chose.
Cette inégalité du rythme et ce manque de souffle des intrigues annexes, qui déboussolent et perdent le lecteur dans leurs méandres, sont ce qui plombe Les plis de la terre. Ce qui sauve toutefois le roman, c’est le portrait vivant et pittoresque que dessine Anuradha Roy de cette région de l’Inde, aux paysages grandioses malgré la misère de ses habitants, écologiquement menacée par les velléités de grandeur de ses dirigeants, traversée d’oppositions politiques et religieuses et encore en plein passage, pénible et ardu, de la tradition à la modernité. Ce conflit s’incarne en particulier dans le conflit entre Ama et Charu, puisque la grand-mère veut marier sa petite-fille selon la tradition avec un homme de la région plus âgé qu’elle, tandis que cette dernière s’enfuit pour se marier avec son jeune amoureux à Delhi, avant de partir à Singapour, et par la relation tumultueuse bien qu’affectueuse, qui s’orchestre entre Maya et Diwan Sahib.
La force des Plis de la terre, c’est de se faire le visage de l’Inde himalayenne, plus que le cheminement de Maya vers une illusoire reconstruction ou de Ranikhet et de sa population vers le progrès superficiel et trompeur, au détriment de l’environnement.
Les plis de la terre, paru en octobre 2013 chez Acte Sud (collection « Lettres indiennes ») – une traduction de Muriel Bellehigue – 400 pages – 23,50€