Suite, remake, reboot

Un jour dans la vie de Billy Lynn : Quelle connerie la guerre, quel grand film

Une précision d’importance pour le lecteur : l’auteur de ces lignes n’a pas pu voir le nouveau film d’Ang Lee dans les conditions souhaitées par le cinéaste, c’est-à-dire en 3D 120 FPS 4K. La faute à un distributeur ne proposant le métrage qu’en 2D 24 FPS (24 images par seconde). Faut-il pour autant le rejeter uniquement parce qu’il n’a pas le format adéquat ? Sûrement pas.

 

A bien des égards, Ang Lee est un auteur expérimental. En effet, le réalisateur a toujours voulu explorer toutes les possibilités narratives et visuelles du médium cinématographique. Que ce soit dans le genre Wu Xian Pian (Tigre et Dragon), le film de super-héros (Hulk) ou le drame intimiste (Le Secret de Brockeback Mountain). Ang Lee avait passé un cap avec son magnifique L’Odyssée de Pi, œuvre spirituelle et puissante où Lee expérimentait l’usage de la 3D à des fins spectaculaires et immersives. Le résultat tenait du merveilleux,voire du prodigieux. Après ce triomphe public et critique (4 Oscars dont celui de meilleur réalisateur), Lee fut annoncé sur plusieurs projets, l’un en évoquant la rivalité entre Joe Frazier et Muhammad Ali.

Ang Lee décida finalement que son prochain film serait une adaptation du best-seller de Ben Fountain Billy Lynn’s Long Halftime Walk. Le cinéaste va alors choisir un format de tournage inédit : ce sera en 3D 120 FPS 4K. Plus que la 3D 48 FPS de la trilogie du Hobbit de Peter Jackson, la démarche du réalisateur est expérimentale : il est effectivement conscient que pratiquement aucune salle ne peut projeter son film tel quel (il y en aurait cinq en tout et pour tout). Sorti en salles en Novembre aux USA, le film a sévèrement bidé (1,7M pour un budget de 48M) et ceux l’ayant vu dans le bon format eurent des réactions plus que contrastées.

Billy Lynn

C’est donc dans une version tronquée (pour ne pas dire charcutée) que l’auteur de ces lignes a pu voir Billy Lynn. Ne tournons pas autour du pot, Ang Lee a de nouveau fait un home-run. Certes, le film est extrêmement frustrant car il est clairement pensé pour la 3D. La mise en scène d’Ang Lee possède la même force et la même maestria visuelle que celle de L’Odyssée de Pi. Soignée et millimétrée, la réalisation d’Ang Lee sert parfaitement le propos de son histoire. Ang Lee déborde d’idée dans sa réalisation. Elle peut donc tout aussi bien s’apprécier en 2D 24 FPS. Car la force de Billy Lynn n’est pas dans sa réalisation mais bien dans son discours. Ang Lee dénonce une société présentant la guerre comme un spectacle débilitant et montrant les soldats américains comme des phénomènes de foire à travers les yeux de Billy Lynn, jeune soldat devenu héros de guerre, admirablement interprété par le débutant Joe Alwyn.

Nous avons dit plus haut que la mise en scène d’Ang Lee renforçait le propos de Billy Lynn. En quoi, pourrait-on se demander, eu égard au fait qu’il pourrait sembler étrange d’utiliser la technologie la plus avancée pour un drame sur le Stress Post-Traumatique ?  L’utilisation extrêmement poussée de la profondeur de champ dans le film permet au réalisateur taïwanais : d’une part de pleinement immerger le spectateur dans son récit (on ose imaginer ce que cela aurait donné en 3D) ; d’autre part, de montrer, d’une manière particulièrement subtile, l’état intérieur du personnage de Billy Lynn. Un état où le déphasement et le stress (dû à son passif de soldat) côtoient une capacité d’analyse et d’observation supérieur à la moyenne.

Billy Lynn

La profondeur de champ a aussi cela d’intéressant qu’elle montre….l’absence totale d’avenir et de futur pour Billy Lynn et ses compagnons. Dans le film, l’horizon est systématiquement bouché, la vue d’ensemble est comme prohibé. Les personnages se retrouvent systématiquement prisonniers : prisonniers de leur condition de soldat, les empêchant de pouvoir pleinement jouir d’un peu de repos, prisonniers de ce stade gigantesque et labyrinthique, sans possibillité de se retrouver à l’extérieur de ce stade, prisonniers du regard des autres, qui voient ces soldats comme des héros de guerre…. D’où l’usage récurrent du regard subjectif et du gros plan. Ang Lee illustre de manière visuelle des thématiques denses et complexes, ce qui fait que Billy Lynn dépasse le cadre étriqué qui aurait pu l’enfermer (un drame larmoyant à Oscars) pour être, in fine, un film émouvant, humain, peut-être mineur si on le compare à L’Odyssée de Pi mais pas moins intéressant.

L’humanisme et le pacifisme de Billy Lynn en font un grand film sur la guerre et ses conséquences. Il serait vraiment dommage de ne pas aller voir ce grand film juste pour le motif du format.

 

T&J Bonnet.

 

 

 

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