Critiques de films

L’heure de la sortie: Un film français engagé qui touche du doigt l’excellence

Adapté du roman du même nom sorti en 2002 et écrit par Christophe Dufossé, L’heure de la sortie prend place dans un collège, et plus précisément dans une classe de 3e constituée uniquement d’élèves précoces intellectuellement. A la suite de la tentative de suicide en plein cours de leur professeur de français, un enseignant remplaçant (joué par Laurent Lafitte) arrive dans l’établissement et va déstabiliser l’équilibre fragile qui régnait auparavant.

Avec un contexte aussi lourd, le film se démarque déjà de l’immense masse des comédies françaises et s’inscrit dans un cinéma indépendant qualitatif, qui semble prendre de plus en plus de place dans le cinéma français de ces dernieres années. L’heure de la sortie fait donc partie de ces films qui veulent dépasser la simple notion divertissante du milieu cinématographique français.

Pour ceci, l’oeuvre se voit dotée d’une dimension fortement politisée. Si la crise écologique est très clairement le centre de tout le raisonnement du film, ce dernier nous met au second plan de nombreux problèmes sociaux, notamment le racisme, le sexisme, la pédophilie ou encore les conflits entre classes sociales. Ainsi, en dehors d’un thème principal largement développé tout au long du film, les autres thèmes sous-jacents le parsèment afin de participer à la création d’une ambiance anxiogène, présente en permanence et participant grandement à la puissance du film. Cette multiplicité de thèmes abordés a de quoi effrayer le spectateur, et pour cause : nombreuses sont les œuvres à vouloir défendre une idée politique ou sociale, et à finir dans un discours moralisateur qui peine à réellement toucher le spectateur. Toutefois, L’heure de la sortie met en place des atouts pour ne pas franchir la limite entre accusation et moralisation, permettant donc au spectateur de se sentir vraiment concerné par les propos tenus. De plus, loin du mélodrame spécifique aux œuvres engagées, le film ne cherche pas à recréer des actes atroces (guerres, suicides, scènes dans des abattoirs), il les montre tels quels, en tant qu’extraits de journaux télévisés ou autres programmes télévisuels. De cette manière, L’heure de la sortie fait un pas de plus vers la réalité, et permet donc au spectateur de bien mieux situer les propos, qui transcendent donc le simple univers filmique.

critique de l'heure de la sortie

Parmi lesdits atouts permettant la transmission des idées, nous trouvons notamment la situation scolaire, et donc la présence d’enfants. Centraux dans le film, la classe d’élite permet de nous trouver face à des enfants fortement mis à part depuis leur jeunesse. Nous avons donc d’un côté la dualité d’une innocence liée à l’enfance, mais de l’autre une marginalité amenant naturellement la présence d’actes et de paroles extrêmes. Pourtant, malgré une importance primordiale dans l’histoire, les enfants sont des personnages antipathiques au possible, incarnés par des acteurs ayant au moins 2 ou 3 ans de plus que l’âge de leurs personnages, créant donc une distance avec la réalité. Tout ça sans compter un jeu d’acteur atroce qui constitue la seule barrière réelle au film pour qu’il devienne l’oeuvre puissante qu’il frôle. Malgré une différence due à leur condition intellectuelle qui peut parfois justifier des conduites peu habituelles, l’énorme majorité de leurs dialogues tient plus de la récitation que de l’interprétation, avec ce côté exagéré qu’on retrouve généralement dans le théâtre et qui n’a donc aucune place dans le domaine cinématographique. C’est donc une frustration qui naît peu à peu puisque le propos est fort, puissant et bien amené, mais que les interprètes de ce message nous repoussent perpétuellement. Cette sensation est donc à la fois la preuve que l’engagement est sincèrement bien transmis, mais aussi que les acteurs n’ont clairement pas leur place dans l’oeuvre, ou que la direction d’acteurs a réellement de quoi être critiquée.

 

Bien heureusement, les enfants ne sont pas les seuls acteurs. Hormis Emmanuelle Bercot et Guillaume Tranchant (alias Gringe, le fidèle camarade du rappeur Orelsan), tous deux géniaux, nous retrouvons avant tout Laurent Lafitte, qui incarne ainsi le personnage principal, et qui est tout simplement grandiose du début à la fin. Criant de vérité, il joue le rôle d’interface entre le petit monde du collège et l’extérieur, ce qui fait en même temps de son personnage l’individu dont le spectateur se sent le plus proche. C’est donc par un jeu d’acteur impeccable que Lafitte nous permet de ressentir une peur palpable tout au long du film, qui vire presque à l’horreur lorsqu’une certaine dimension paranormale, surnaturelle semble surgir peu à peu et renforce l’attention du spectateur. C’est d’ailleurs sur ce côté horrifique que le film réussit là où Get Out, film américain d’horreur sur le racisme sorti en 2017 et primé aux Oscars, avait échoué. En effet, L’heure de la sortie arrive à instaurer un climat stressant sans pour autant montrer quoique ce soit, ce qui lui permet de garder une tension présente de manière homogène tout au long du film en créant un Mal indiscernable, et par conséquent d’autant plus effrayant. L’heure de la sortie fait donc preuve d’une grande finesse dans son approche, et met en valeur les acteurs participant positivement à cette dernière.

critique de l'heure de la sortie

Le film dispose aussi d’une photographie sublime que l’on se doit de souligner et qui est due à Romain Carcanade, et qui est profondément belle, prenante et partie intégrante de l’ambiance du film. Dans la même veine, une bande originale (trouvable et écoutable sur internet) composée par le groupe français Zombie Zombie, crée une réelle sensation planante et permet au film d’acquérir une vraie caractérisation et une énergie qui arrache des frissons de par son aura électrisante, simple mais magnifique.

 

L’heure de la sortie est donc un superbe film engagé qui, malgré l’omniprésence des problèmes sociétaux, ne repose pas uniquement sur ces derniers mais transmet tout de même merveilleusement bien son message. Une vraie atmosphère et une beauté sincère, voilà ce qui permet à l’oeuvre de frôler l’excellence, malheureusement entachée par des acteurs inégaux et de rares scènes à l’utilité questionnable.

 

Terence

Terence

Rédacteur depuis janvier 2019. Actuellement en Licence Arts du Spectacle.

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