Perturbant et fascinant, The Girls, paru aujourd’hui aux éditions Quai Voltaire, est un roman qui nous entraîne dans un univers trouble mêlant affres de l’adolescence et univers des sectes. Avec une intelligence et une dextérité rares, Emma Cline maintient jusqu’à la dernière ligne le lecteur sous l’emprise de sa plume qui joue de la tension et du malaise. Une jolie réussite et une belle analyse psychologique pour un roman qui aborde des thèmes peu évidents.
Nord de la Californie. Été 1969. Evie Boyd est une jeune fille de quatorze ans, un peu rêveuse qui se perd dans les affres de l’adolescence. Abandonnée par sa meilleure amie, délaissée par des parents trop occupés à bâtir leur propre existence chacun de leur côté, elle est dévorée par un intense désir d’être aimée, reconnue. Un besoin d’identification, d’appartenance, une envie d’exister. C’est alors que son chemin croise celui d’un groupe de jeunes filles. Provocantes, débraillées, leur aura de liberté bouleverse l’adolescente qui ne rêve plus alors que d’une seule chose : faire partie de ce groupe. Sans le savoir, Evie vient de mettre le pied dans le monde ténébreux des sectes et sa vie va basculer d’une façon qu’elle n’aurait jamais pu imaginer. Fascination, drogues, sexe, elle s’enfonce dans une spirale infernale sans présager une seconde du déchaînement de violence qui s’annonce…
The Girls est un récit à l’atmosphère trouble, lourde, presque poisseuse. Un étrange filet qu’Emma Cline tisse avec dextérité pour mieux y prendre son lecteur. Dès les premières pages, l’auteur lance ses appâts. Qui est cette femme qui nous parle et que redoute-t-elle avec tant de terreur ? Quel est ce passé sombre qui semble créer une aura autour d’elle, fascinant ses interlocuteurs ? Tous semblent flairer le sang, le fait divers à sensation. Alors peu à peu remontant le fil de ses souvenirs, Evie redevient cette adolescence prête à tout pour être aimée et nous entraîne dans le drame. Dès lors le piège se referme. Le lecteur est ferré, rongé par le besoin de savoir, fasciné par le récit d’Evie, par cette tension lourde et sourde comme un jour d’orage, qui enveloppe le récit. Par ce drame qui plane comme un vautour au-dessus du personnage.
Avec intensité et finesse, Emma Cline déroule au fil de The Girls, les méandres de la construction de la psychologie féminine, de l’image de la femme pour une adolescente, à travers le personnage d’Evie. Ce vide béant que ressent la jeune femme, cette solitude aiguë, ce manque de confiance, de repères qui vont la conduire aussi sûrement qu’une route vers l’emprise de la secte. Mue par son désir de reconnaissance, Evie est totalement fascinée et attirée par le personnage de Suzanne à tel point qu’elle en est aveuglée sur ce qui se passe réellement dans le ranch. Il y a quelque chose de navrant et de terriblement banal dans le malaise de cette adolescente. Et peu à peu, comme une implacable machine aux rouages bien huilés, les pièces du puzzle s’assemblent et le drame se met en marche. L’estomac noué, on comprend que c’est ce qui s’est passé cette nuit-là qui terrifie Evie dans le présent. Pris au jeu de cette écriture efficace et intelligente, oscillant entre le malaise et la compassion, on ne peut s’empêcher de tourner les pages de The Girls pour aller au bout de l’horreur…
« Je voulais m’entendre dire ce qu’il y avait de bien chez moi. Plus tard, je me demandai si c’était pour ça qu’il y avait plus de femmes que d’hommes au ranch. Tout ce temps consacré à me préparer, à lire des magazines qui m’apprenaient que la vie n’est en réalité qu’une salle d’attente, jusqu’à ce que quelqu’un vous remarque, les garçons l’avaient consacré à devenir eux-mêmes. »