Critiques de films

Les Éternels : « Aujourd’hui tout va trop vite, on n’a plus le temps de profiter »

Les Éternels est un film réalisé par Jia Zhangke et raconte 17 ans de la vie de Zhao Qiao, une femme chinoise en couple avec un haut-placé de la pègre de sa région. Le confort du couple va être mis à l’épreuve et mènera Qiao dans divers périples personnels. 

Les éternels, Jia Zhangke

Les Éternels est un film aussi indescriptible qu’il est incroyablement lent. Fascinant dans sa proposition d’un film aux antipodes des productions américaines, l’oeuvre de Zhangke tire sur 2h30 un récit qui semble n’avoir ni début ni fin. Le spectateur se voit emmener dans des « aventures » jamais vraiment passionnantes mais particulièrement singulières, principalement car transpirant la réalité. Zhangke fait effectivement preuve d’une réalisation aux allures simplistes et honnêtes, servant ici un film proche du documentaire dans son esthétique. Le film ne resplendit donc jamais, ni dans sa forme ni dans son fond tant la réalité l’imprègne, de sorte à ce qu’il n’agisse en aucun cas comme un réel divertissement. 

Pourtant, malgré un film (trop) lent et ne racontant rien de particulier, si ce n’est les péripéties d’une femme chinoise, Les Éternels est loin d’être dépourvu de qualités. En effet, le film nous propose un voyage enrichissant, dans le temps et dans l’espace de la Chine rurale, de 2001 à 2018. Zhangke innove donc, entre autres, dans sa représentation de la Chine : sans politique ni milieu urbain, les contrées chinoises et leurs friches industrielles quasi-désertiques plongées dans la pauvreté façonnent la représentation d’un monde qui semble irréel. Voici donc l’ambiance dans laquelle est plongée le spectateur pendant toute la durée du film, entre réalité exacerbée et flottement onirique. Cette même inconstance se concrétise dans une alternance de scènes tantôt banales et simples, tantôt grandioses et magnifiques. Malheureusement, de trop rares scènes arrivent à réellement happer le spectateur et à l’amener à s’immerger en plein dans l’univers proposé. 

Les éternels, Jia Zhangke

Alors, malgré un univers et des personnages développés, ainsi que la perspective d’un voyage tant physique que psychologique et spirituel, Les Éternels et sa lenteur caractéristique, d’ailleurs justifiée par un personnage disant « Aujourd’hui tout va trop vite, on n’a plus le temps de profiter », ne mènent que trop rarement à l’intégration totale du spectateur dans le récit. Il semble malgré tout que le film de Jia Zhangke ne puisse laisser totalement indifférent car, même si l’ennui est palpable du début à la fin, il est inévitable que le spectateur ressente l’étrange et puissante sensation d’avoir parcouru une seconde vie. Si le film n’est pas haletant ou incroyable, sa fresque pure et vraie est peut-être l’aboutissement de tout film, celui de proposer une expérience unique à un spectateur qui oublie, le temps d’un instant, sa propre vie au profit de celle d’un autre. 

Les Éternels n’est certainement pas un film pouvant plaire à quiconque, notamment pour la raison suivante : ce n’est pas une oeuvre qui se vit sur le moment. Ce n’est qu’en sortant de la salle que le spectateur est en mesure de se rendre compte de l’ampleur de ce qu’il vient de vivre, la proposition d’une oeuvre étrange et intemporelle, aussi fascinante que déconcertante. 

Terence

Rédacteur depuis janvier 2019. Actuellement en Licence Arts du Spectacle.

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