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Legion : l’arme X

Alors qu’on parle d’une série X-Men depuis bien longtemps sans jamais voir un quelconque projet concrétisé, FX a diffusé le premier épisode de Legion, centré sur David Haller, le fils du professeur Xavier, créée par Noah Hawley, l’homme derrière Fargo. Et c’est peu dire que la série sort des sentiers battus… Voici donc une seconde critique, après celle de Tom

David Haller, dit Legion, est l’un des plus puissants mutants de l’univers Marvel, si ce n’est le plus puissant. Fils du Professeur Xavier, leader des X-Men, diagnostiqué schizophrène et interné dans un hôpital psychiatrique, il est fortement instable et ses colères sont dévastatrices. Sauf que quand il rencontre Sydney Barrett, une fille très peu tactile, et que des agents gouvernementaux s’intéressent à lui, il comprend que sa schizophrénie n’est pas exactement le « mal » qui le touche…

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Legion n’est PAS une série de super-héros. Si sur la forme (produit par la FOX, Bryan Singer, Simon Kinberg, Joe Quesada, Stan Lee, Jeph Loeb, soit toute la clique derrière les films X-Men au cinéma), elle est une série Marvel, il n’en est rien sur le fond : pas ou très très peu de références à Marvel, pas (encore) de personnages issus des comics, le mot « mutant » prononcé une seule fois en 1h05 d’épisode… A la différence de séries comme Flash ou Legends of Tomorrow, qui ont choisi d’embrasser le côté adaptation, Legion est bien plus « terre à terre », si l’on peut dire, choisissant de bâtir son propos autour du personnage qu’est David Haller afin de mettre le spectateur au coeur des enjeux auxquels il fait face. En fait, Legion est une vraie série-personnage : chaque plan, chaque séquence, chaque action, est une potentielle altération prenant place au coeur de l’esprit de David. De sorte qu’au lieu de mettre le spectateur dans une zone de confort, Noah Hawley le bouscule et l’oblige à constamment à une remise en question cartésienne ce qu’il vient de voir pour, à l’instar de David, découvrir ce qui arrive et ce qui lui arrive. En témoigne l’enchaînement colère de David face aux enquêteurs – fuite et refuge chez sa soeur – retour dans le complexe gouvernemental attaché à une chaise dans une piscine : chacun de ces moments est en soi plausible et laisse en permanence le doute au spectateur par leurs apparences trompeuses. Et du reste, même David, à la fin de l’épisode, se demande si tout cela est réel. Et la réponse positive de Sydney ne nous rassurera pas exactement.

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Témoignage de ce côté série-tout, la série commence avec 3 bonnes minutes relatant par crises ce qui est arrivé à David et ce qui l’a mené à être une des personnes les plus surveillées qui soient, nous plongeant directement au coeur du propos. Au bout de 7 minutes, on est au courant de sa situation et au bout de 10, Sydney a été introduite et incluse aux enjeux, et on sait à quels troubles David fait face pour essayer de se contrôler, troubles qui ne nous lâcheront pas durant cette heure d’épisode puisque David a toutes les peines du monde à distinguer l’hallucination de la réalité (le climax étant sa « fusion » non-désirée avec Sydney). De sorte que la série est à la fois capable de gérer, sans que la frontière ne se voie, son héritage comics (Legion absorbe des personnalités, ce qui accroît sa schizophrénie et son côté quelque peu anti-héroïque) et ce qui gravite autour de son personnage, qui du fait de son « handicap » ouvre un nombre de portes scénaristiques (de son point de vue et du point de vue de l’histoire) et de possibilités alternatives considérables pour étayer son propos. Surtout, Noah Hawley prouve une nouvelle fois sa capacité d’adaptation, d’appréhension d’oeuvres qui lui sont a priori étrangères et qu’il transforme en quelque chose d’à la fois éloigné et infiniment proche desdites oeuvres initiales. Dans Fargo, il s’était approprié le côté humoristique noir propre au polar des frères Coen pour recréer l’univers et donner une histoire à la fois liée au film et à la fois assez autonome. Dans Legion, Hawley a absorbé puis intégré le côté fantastique inhérent aux comocs directement dans son personnage, de sorte que c’est lui qui s’approprie la réalité (puisque la série part d’une maladie, la schizophrénie) et finit par la tordre et la bordéliser : le fantastique est donc une irruption au sein d’un environnement relativement normal, plutôt que d’être un élément à prendre pour argent comptant, comme dans Legends of Tomorrow. Et c’est bien de cette irruption fantastique, cette immersion au coeur du problème qu’est cette schizophrénie, qui fascine les ennemis souhaitant avoir le contrôle sur lui (« c’est peut-être le plus puissant mutant auquel on ait eu affaire »).

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Dans cet aspect de bordel organisé, Legion n’est jamais putassier, facile ou empli de fanservice, ce qui tranche profondément avec la politique habituelle de Marvel, que cela provienne des studios ou des possesseurs des droits (type Fox ou Sony). Au contraire, on a affaire à un type d’humour plutôt subtil, qui n’en est, finalement, pas un, et qui ne le provoque pas en tant qu’effet comique, mais comme seconde vague. A nouveau s’enclenche la logique de personnage-série : la schizophrénie de David Haller l’amène à des actions qu’il ne contrôle pas, qui sont tragiques en tant que telles, mais mises dans un certain contexte, peuvent se parer d’un effet comique. Mais jamais la série ne mettra le spectateur dans une zone de confort qui consisterait à le faire rire aux dépens d’un personnage qui serait clownesque : la grande force de Legion est qu’elle ne cède pas à la facilité et tâche de connaître, exposer, étendre, détendre son sujet avant même de chercher à détendre le spectateur. Celui-ci est ainsi libre de voir, s’il le souhaite, pour garder pied, du comique dans la crise de nerfs de David, dans son appartement, qui lui fait tout exploser ; ou bien être peiné pour ces mêmes raisons. In fine, l’identification au personnage est relativement aisée : sans forcément beaucoup l’aimer, on adhère à sa cause, en tant que spectateur conscient-inconscient de ce qu’est David. En ce sens, elle traite son sujet avec un véritable sérieux, sans caricature, mais sans prétendre non plus être une série médicale ; elle fait corps avec l’anormal au sein de son personnage. Cela doit aussi à la très bonne performance, maîtrisée, de Dan Stevens en David Haller/Legion en homme à la fois conscient et inconscient, comme son père mais de manière plus incontrôlée, de faire partie de quelque chose de plus grand que lui, sans savoir quoi exactement. « Legion », mot qui n’est d’ailleurs pas mentionné, pas plus que celui du professeur Xavier : la meilleure manière de faire de son personnage un anti-héros, c’est encore de ne pas le caractériser comme tel). Même le mot mutant ne résonne pas dans le sens auquel on a été habitué à l’entendre.

En une heure, Noah Hawley nous a posé une série exigeante, des enjeux excitants, des personnages fascinants, un univers qui prend le temps de poser sa complexité. Et cela n’en a que plus de force. Reste à voir où cela le mène, mais gageons que c’est vers quelque chose de délicieusement frissonnant. Legion est diffusée sur FX, 8 épisodes.

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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