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Le Nom de la Rose : Umberto Eco, l’inadaptable ?

OCS propose depuis la semaine dernière une nouvelle version, télévisée, du Nom de la Rose, cultissime roman d’Umberto Eco déjà adapté il y a quelques années par Jean-Jacques Annaud, premier souvenir horrifico-érotique de bien des gamins des années 1990. Enfin une adaptation fidèle et à la hauteur du chef d’œuvre auquel Dan Brown voudrait tant ressembler ?

Durant la première moitié du XIVème siècle, l’Eglise est en crise. Le pouvoir spirituel est disputé face au temporel, le pape est en pleine remise en question et l’inquisition est très vive envers les fidèles qui suivraient les réformateurs. Dans ce contexte troublé, le franciscain Guillaume de Baskerville, réformateur par excellence, est appelé avec son fidèle Adso à résoudre le mystère de morts étranges dans une ancienne abbaye, qui semble abandonnée de Dieu…

Un roman devenu film

Avec Le Nom de la Rose, Umberto Eco signe en 1980 une œuvre considérable, d’une complexité affirmée, portée sur les questions universelles du langage et de l’art comme moyen de résistance. Ni une ni deux, ce succès planétaire est adapté en film avec certaines stars comme un certain Sean Connery, évidemment dans le rôle du sage Guillaume de Baskerville, avatar symbolique du célèbre et réel Guillaume d’Ockham, contestataire affirmé de la domination du pouvoir papal. Le film passe alors pour une réussite, une sorte de Da Vinci Code de l’époque, mais en plus exigeant et inquiétant. Des figures de gargouilles grimaçantes passent ici et là dans le film, les personnages les plus innocents se perdent dans des dédales infinies et les morts les plus glauques et démonstratives s’enchaînent devant les yeux médusés et parfois sincèrement effrayés du spectateur. Le recul, pourtant, pouvait déjà mener à reconsidérer la réussite du film : certes, l’enquête est efficace et les personnages bien incarnés, mais la gratuité voir l’obscénité de son action comme de sa séquences érotique laissaient le sentiment d’un souvenir doux-amer, alors que la subtilité du livre, dissimulant par du latin les détails les plus crus, faisait justement son intérêt linguistique.

Quoi qu’il en soit, le film est vite devenu un classique, montré en partie, démonstrativité visuelle oblige, dans les classes d’Histoire de collège et de lycée, et considéré par bien des cinéphiles comme l’adaptation sans reproche d’un monument littéraire. Il est vrai que, sur certains points, il y avait bien des éléments d’une certaine pertinence dans cette première adaptation : tout y était crasseux, inquiétant, l’enquête était menée tambour battant et l’on se plaisait à suivre les raisonnements brillants et évidents de l’enquêteur, suivi de près par son timide apprenti. Une sorte de Sherlock Holmes projeté dans l’Histoire, qui perdait en complexité narrative ce qu’il gagnait en fluidité de récit et en divertissement pur. De là à parler de version définitive, cela semblait vite dit, d’autant que rien dans le monde audiovisuel contemporain n’est si éternel.

Un roman devenu série

La proposition d’OCS est, en effet, de nature à remettre en cause cet ascendant assez étonnant pris par le film d’Annaud. En tous cas, sur le papier. Produit par des italiens, donc premiers concernés par l’œuvre originelle, la réadaptation en série télévisée du chef d’œuvre d’Eco paraissait dès ses premières images vouées à la réussite : le format long permet la complexité, et les quelques différences de moyens permettent la subtilité, la suggestion plutôt qu’une handicapante démonstrativité. Le talent de John Turturro, dont on connaît bien comme cinéphile la portée importante, semblait par ailleurs en faire le candidat le plus attitré pour interpréter l’enquêteur de Baskerville, tout mélancolique et brillant que peut être son regard. Ce n’est pas sur ce point, d’ailleurs, que la vision proposée est ici contestable, mais plutôt sur tout le reste.

On ne peut reprocher à la série de se reposer sur le film du même nom : comme L’Exorciste avant elle, le Nom de la Rose ose la réadaptation littéraire, et non la reprise cinématographique d’une précédente mise en image. Aussi, une remise à plat complète est proposée, et d’abord pour le meilleur : enfin, le hors champ est osé, instrument fondamental trop souvent considéré comme d’un moyen de camoufler le « réel », alors qu’il le sublime et le rend d’autant plus inquiétant. La nouvelle proposition n’est pas démonstrative, et repose bien plus sur la psychologie de ses personnages que son aîné (parfois, certes, de façon un peu balourde, comme quand on montre des images de guerre pour suggérer l’état mental de chacun). Il serait mentir de dire ce premier épisode manque d’intelligence ou de réflexion quand à l’adaptation,des choix tranchés sont faits et certains sont assez salvateurs dans l’image à montrer de cette histoire.

Pourtant, dans ses grandes largeurs, les choix faits peinent à convaincre, voir parfois semblent aller à l’opposé de ce qu’il aurait fallu faire. D’abord, très vite après avoir été enthousiasmé par l’apparente recherche de subtilité de cette nouvelle version, on se rend compte qu’elle confond en fait subtilité, sobriété avec ascétisme et platitude. Le rythme est complaisamment long, les tunnels de dialogues, de plus loin d’être tous du même niveau, sont répétitifs et souvent interminables, et surtout une erreur semblant dramatique est faite, celle d’une image propre et sans bavure, qui retire toute inquiétude à l’image. Cette abbaye recluse, abandonnée de Dieu, nécrosée est montrée de manière si religieuse et soignée qu’elle en perd tout son mystère et sa noirceur. Aussi, rien de prend en terme d’ambiance, et aucun véritable enjeu ne semble se dégager, tant on peine à croire à ce qui est montré à l’écran.

Une telle proposition narrative n’est, de plus, pas aidée par le choix fait de temporalités différentes, qui rendent l’intrigue plus complexe encore qu’elle ne l’est et apporte des éléments sans vrai intérêt pour la compréhension. Que faire, au fond, des origines du personnage d’Adso, de plus rendues presque incohérentes dans le portrait fait de son enfance, qui vu sa dureté aurait du conduire à autre chose qu’une telle innocence ou naïveté ? Au lieu de passer sous silence les éléments les plus étonnants voir contradictoires de l’histoire, le metteur en scène prend un malin plaisir à en faire le centre de son intrigue, jusqu’à ce qu’on ne sache plus très bien quoi penser de ce qu’il dit, et de la manière dont il le dit. Au fond, le temps offert par le format aux conteurs semble ici utilisé a assez mauvais escient, quand certains éléments essentiels sont passés sous silence.

nom de la rose

Le plus essentiel d’entre eux est, bien sûr, le langage. Cronenberg avait certes pu démontrer, dans son Cosmopolis, à quel point il était difficile de donner toute sa place au langage au cinéma, dans l’adaptation d’une œuvre reposant sur le même langage. Kubrick avait pu également, à l’époque d’Orange Mécanique, se frotter à cette problématique, jusqu’à écarter quasi-complètement du film la langue fantasmée par ses personnages. Aussi, il n’étonne plus que, dans des productions importantes, la question passe également à la trappe : comme Annaud, ici le choix est fait d’un unique personnage, le fou de l’histoire, s’exprimant partiellement en latin, quand tous les autres parlent un américain parfait. Si un tel choix ne surprend évidemment pas tant il est conventionnel et itératif notamment à Hollywood, il est d’autant plus regrettable dans ces œuvres qui, au fond, ne parlent que de littérature et du pouvoir de la langue. Le passage au divertissement est alors une fois de plus confondu avec le choix d’un consensualisme assez handicapant, si bien que l’on en vient à se demander pourquoi, au fond, faire le choix d’adapter des œuvres reposant tant sur ces questions.

Aussi, un sentiment de déception ressort de cette nouvelle proposition d’adaptation d’Eco. Si le casting convainc, si l’image été belle, on reste au fond de marbre devant cet énième révision de l’histoire littéraire, allant toujours dans le sens de la correction des éléments complexes et difficiles, de la recherche au fond d’un vide plutôt que d’un propos plus profond et mieux servi par une narration qui devrait être plus originale et audacieuse. Le reste de la saison sera, peut-être, utile pour corriger cette vision, ou la confirmer.

AMD

Adrien Myers Delarue

Résidant à Paris, A.M.D est fan de Rob Zombie, de David Lynch et des bons films d'horreurs bien taillés. Sériephile modéré, il est fan de cultes comme X-Files, Lost, ou DrHouse, ou d'actualités comme Daredevil ou Bates Motel.

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