Critiques de films

La Marche : Gones With The Wind

La France a la mémoire courte. C’est, en essence, le message fort que souhaite faire passer le réalisateur belge des « Barons », Nabil Ben Yadir avec La Marche.

Un message bien plus fort que celui d’antiracisme et d’égalité des droits simple que souhaitent faire passer la bande de marcheurs issus du quartier des Minguettes, à la rentrée 1983. La médiatisation était bien là, avec les télés régionales, puis nationales. Et puis rien. Tombés dans l’oubli. C’est dans l’absence de relais documentaire sur les Marcheurs que Ben Yadir et sa coscénariste Nadia Lakhdar puisent la force de leur fiction. Certes, des personnages comme celui de Philippe Nahon, en chauffeur récalcitrant, sont un amalgame entre plusieurs personnages, et des libertés narratives ont sans doute été prises. Mais dans la chronologie des évènements, Ben Yadir se fait sobre. Il s’agit de montrer non pas l’incroyable capacité de fédération des marcheurs, mais plutôt leur persévérance pour mener leur odyssée à bien.

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Les marcheurs à Dreux. Une conférence houleuse qui vient mettre un bémol à leur entreprise. Crédit: EuropaCorp/M. Hartmann/T. Brémond

Oui, les lourdeurs sont bien là : un personnage ventripotent, Farid (M’Barek Kelkouk) qui sert clairement trop de relief comique, avec des gags éculés à base de pieds pestilentiels. Ou encore une intégration ridicule des RG en toile de fond, à travers des télégrammes alarmistes ou encore des barbouzes circonspectes dans un bureau enfumé. Personnification de l’Etat de pacotille, que Ben Yadir rattrape en n’étant pas aussi manichéen parmi ses marcheurs. A vrai dire, le groupe reste soudé par les circonstances plus que par vraie envie, et les injonctions du Marcheur central, incarné par le très charismatique Tawfik Jelleb, ont de plus en plus de mal à trouver une portée face aux bévues qui s’accumulent. C’est grâce à cette fragilité du groupe que Ben Yadir arrive à faire passer beaucoup d’humanité. Ce qui le préserve de verser dans dans le mélodrame plein de bons sentiments. Aussi fort que ses personnages veulent y croire, la motivation de la marche s’estompera une fois passée le perron de l’Elysée. Elle ne peut masquer les dissensions entre le curé, le reste du groupe et des marcheurs bien embarrassants, parmi lesquels Hassan, un toxicomane du quartier qui va avoir beaucoup de mal à gagner la confiance du reste du groupe. Finalement, « La marche » pèche dans le fait que certains membres du groupe le restent, et que leur parcours est retracé de façon très beauf et partiale par…. un employé des RG à leurs trousses. On a connu meilleure présentation, notamment pour la photographe lesbienne incarnée par Charlotte Le Bon, Claire. Nader Boussandel en Yazid, lui, s’en sortira un peu mieux. Mais l’interprétation d’Hafsia Herzi et une implication très passable tirent le film vers le bas.

Ben Yadir, dans ses choix de réalisation, cite discrètement le « Get On The Bus » de Spike Lee, et fait souvent mouche en captant les bons gestes, les bonnes expressions. La direction de « La Marche » est claire, et il laisse entrevoir un racisme latent, presque sournois dans la société des années 1980 (une scène impliquant le personnage de Mounia est assez éprouvante en ce sens). Ben Yadir tente toujours de mettre un bémol dans la « positive attitude » ambiante : si le personnage de Jamel Debbouze a sa scène de happening et d’interruptions de programme radio, parmi celles qui ont fait sa gloire, le spectateur est ici pris à contrepied et il crée le malaise en voulant clairement faire déraper l’action des jeunes Lyonnais. La plus grande faute de « La Marche » reste dans un ancrage très caricatural dans la France mitterrandienne de 1983. Ici, tout est fait pour titiller la fibre nostalgique du téléspectateur, y compris pendant un générique lourd de vignettes clippées sur fond de « Douce France » de Charles Trénet. Même si les revendications des marcheurs ne sont pas politiques, les murs auxquels ils se heurtent, parmi lesquels le cynisme citoyen montré pendant la scène de Dreux sont finalement assez actuels. Les hommes politiques n’interviennent pas, ou très peu, que ce soit par voie médiatique ou autres, et le film est plus adroit à insérer des faits divers comme des passages à tabac à caractère raciste dans la trame. C’est finalement ces volontés de surlignage du contexte social qui empêchent « La Marche » de franchir la ligne d’arrivée des meilleurs films français de 2013.

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