Sériephilie

Festival Tous Ecrans : séries britanniques, les recettes d’un succès

Le Focus UK du festival Tous Ecrans s’est déroulé sur la journée de samedi, à Genève. Kézako? Récapitulons : dans le cadre du festival, plusieurs conférences de professionnels sont organisées pour faire un état des lieux sur leurs secteurs respectifs, mais surtout dégager des tendances et pistes pour l’avenir.

Dimanche, c’était une journée transmedia et une journée Game Day était prévue. Cette année, la Grande-Bretagne était à l’honneur à travers une sélection de séries et de films (parmi lesquelles le splendide « Last Tango In Halifax » sur lequel on reviendra très prochainement), la première passant près de deux heures à décortiquer les recettes du succès international des séries mises à l’antenne ces dernières années, mais aussi de vétérans comme « Doctor Who ».

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The Players

-Kate Harwood : responsable de la production de séries pour l’ensemble des chaînes de la BBC, Harwood est une interlocutrice de poids qui vient défendre et présenter des productions comme « Luther » ou encore « In The Flesh ».

-Huw Kennair-Jones : Commissioning Editor pour les chaînes du groupe Sky (bSkyb), la production de séries premium pour Sky Atlantic a augmenté de manière significative, mais aussi pour la petite soeur qu’on pourrait décrire comme une version british de Téva, Sky Living. Kennair-Jones venait à Tous Ecrans défendre l’adaptation de « Bron » coproduite avec Canal +, « Le Tunnel« , mais aussi parler de séries comme « Dracula », coproduite avec NBC, « Mad Dogs » ou « The Smoke« .

-Justin Thomson-Glover : producteur indépendant, il venait présenter la minisérie « The Fall » avec Gillian Anderson et chapeaute une série en 7 épisodes autour de nouvelles aventures du magicien Jonathan Strange, « Jonathan Strange & Mister Norrell« , avec Eddie Marsan dans le rôle de Norrell et Bertie Carvel en Strange. Le tournage vient de débuter.

-Paul Smith : seul scénariste du panel, il a écrit « Desperados« , autour d’une équipe de jeunes handicapés joueurs de basketball, et la minisérie « One Night » en 2012.

Manda Levin : productrice pour Kudos, boîte de production qui est derrière « Spooks/MI: 5« , « Life On Mars » et « Ashes to Ashes« , et a développé « Le Tunnel » pour Sky Atlantic.

Antony Root : vieux routier de l’industrie audiovisuelle britannique, il est maintenant patron de la production à HBO Europe. Ses expériences passées lui ont donné du cachet pendant ses rares interventions pendant le panel.

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Le panel était modéré par Nick Edwards, journaliste indépendant, et Marie-Elisabeth Deroche-Miles, programmatrice séries du festival. Photo via Lubiie-en-série (http://www.lubiie.com/)

Même si les séries britanniques s’exportent très bien, Kate Harwood a rappelé que « ce ne sont pas les plus « internationales » de nature. Nos séries qui s’exportent le mieux sont aussi les plus intrinsèquement british : Doctor Who, Spooks… Les séries dramatiques britanniques aspirent à être ambitieuses pour un public le plus large, à 21 heures en semaine. Nous créons des choses qui sont plus osées et courageuses, en faisant de nos courtes durées une force. Une saison de 6 épisodes pourra être aussi percutante qu’une saison américaine de 13 épisodes. » Beaucoup des personnalités présentes pensaient ainsi que leur mode de production, et surtout leurs commandes d’épisodes, a influé sur l’ensemble de la production internationale. « Le défi le plus intéressant, c’est qu’on peut raconter une histoire sur n’importe quelle durée« , poursuit Harwood. « La télévision, c’est le média où l’on peut raconter la bonne histoire sur la bonne durée. »

Huw Kennair-Jones, de BSkyB, dit que du côté de leurs chaînes câblées, « les acquisitions de séries américaines fonctionnent très bien en primetime. Avec notre production de séries, notre éthique a été d’essayer de les égaler sur le plan créatif. » Antony Root, de HBO Europe, fait remarquer « l’impact des chaînes payantes sur les chaînes gratuites. L’attrait pour « Broadchurch » et des saisons plus longues que d’habitude pour la Grande-Bretagne, l’internationalisation des formats, les cadres des chaînes qui regardent des séries du câble… Tout cela a eu une influence non négligeable : maintenant, ils perçoivent le potentiel du médium télévisuel. » De plus, les chaînes ont maintenant lâché les rênes de leurs scénaristes, qui auparavant n’avaient pas leur mot à dire sur leur casting, ou n’était pas invités sur les plateaux de tournage. Les interférences de la chaîne sont également responsables, involontairement, de « Broadchurch« , révèle Kate Harwood : « Chris Chibnall (créateur, ndr) a écrit la série en autonomie, avant de nous la proposer, car sur sa dernière série il devait composer avec 13 producteurs et cela l’a rendu dingue en tant que chef scénariste. Il voulait prendre contrôle de quelque chose qui lui tenait à coeur. C’est un bon exemple de se plier à l’identité d’une série plutôt qu’au pouvoir. » La relation a totalement changé, comme le dit Manda Levin : « Toute ma crédibilité repose sur mes relations avec les scénaristes. Chacun a un processus d’écriture différent, le travail consiste à déterminer leurs besoins, et apprendre ce qu’ils sont demande de la minutie. Le développement des scénarios pour des séries dramatiques n’est pas vraiment compris depuis l’extérieur, contrairement au cinéma, qui est plus un médium de réalisateurs. » Elle a néanmoins insisté sur le rôle crucial tenu par des producteurs et productrices comme elle, et a lamenté le manque de réalisatrices pour la télévision.

Avec l’export et le succès des séries, les coproductions se montent plus facilement. Avec des avantages pour les chaînes britanniques: « Jonathan Strange & Mr. Norrell » est une coproduction entre trois chaînes, mais Justin Thomson-Glover révèle que la BBC en a financé moins de 50%, avec Space au Canada et BBC America prenant en charge le reste. Mais attention à ne pas avoir trop de chefs en cuisine : « Pour « Le Tunnel« , nous avions à gérer un réalisateur français, un scénariste britannique, le casting était réparti aussi des deux côtés de la Manche… », explique Huw Kennair-Jones. « Lorsqu’une coproduction fonctionne, tout le monde produit la même série. Quand cela ne fonctionne pas, c’est qu’un des partenaires tente de tirer la couverture à lui; chacun doit avoir une sorte de vision commune pour la série. Mieux on peut définir la relation entre coproducteurs, mieux la série fonctionnera. »

Chercher des « voix » distinctives

Les séries britanniques ne se reposent pas sur un staff de scénaristes comme aux Etats-Unis, postule Kate Harwood. « Financièrement, il en est hors de question. Le chef scénariste va soutenir des scénaristes embauchés pour un épisode seulement. La « writers room » (pool de scénaristes) à l’américaine coûte cinq à six fois plus cher que les scénaristes embauchés sur des séries britanniques. » Mais tout ce qui importe, c’est d’avoir des séries avec des « voix » distinctives : celle de leurs auteurs. Et on va chercher de plus en plus du côté du théâtre : le créateur d’ « Utopia« , Dennis Kelly, avait fait beaucoup de pièces de théâtre et une série qui n’a tenu que 13 épisodes, « Pulling« , mais Manda Levin, dont la société Kudos produit la série pour Channel 4, pense que Kelly a « une voix distinctive, fraîche et drôle ». Même son de cloche pour une autre scénariste venue du théâtre, Lucy Kirkwood, qui avait auparavant travaillé sur quelques épisodes de « Skins » et qui se retrouve à la tête de « The Smoke« , autour de pompiers londoniens pour Sky 1. Jamie Bamber, le Apollo de « Battlestar Galactica », en sera la vedette.

Huw Kennair-Jones ne tarissait pas d’éloges sur Kirkwood : « Lucy a beaucoup d’instincts narratifs. « The Smoke » conte une histoire avec une formidable attention au détail, à l’émotion, à la profondeur… Lucy a été capable de traiter des thèmes de l’héroïsme, mais aussi ce que c’est que d’être un homme au XXIème siècle. » Certaines des séries jouent aux chaises musicales : « The Smoke » avait été développé pour la BBC, mais a été revendu à Sky. « Utopia » était développé pour Sky, mais s’est retrouvé sur Channel 4 : « C’était une mauvaise série pour nous », reconnaît Kennair-Jones, qui a noté qu’un de leurs premiers efforts pour faire une série à la HBO avec un plus petit budget, c’était « Hit And Miss« , de Paul Abbott.
Un étendard de la prise de risques à l’Anglaise.

Il n’y a pas forcément de règles de genre pour s’exporter : l’audace et le réalisme paient. Harwood fait remarquer que « les séries dramatiques d’époque ou historique se vendent beaucoup moins bien qu’on pourrait le penser. Elles passeront sur PBS aux Etats-Unis, recevront quelques prix, mais cela s’arrête là. Des séries comme « In The Flesh » se sont très bien vendues, en restant une série de zombies avec un angle affectif. « Five Daughters« , une de nos séries très crue et réaliste sur cinq prostituées, a gagné des prix mais a aussi trouvé sa place sur les grilles de chaînes à travers le monde ».

Quand le modérateur en est arrivé aux espoirs et craintes de chacun, Paul Smith a été direct : « Chaque année, on remet le débat sur la redevance de la BBC sur la table. Ce « haro sur le baudet » BBC doit cesser, car il nous permet de prendre des risques en tant que créateurs. Cela nous permet d’échouer autant que de réussir. » Et Manda Levin a confié espérer que le marché laissera la place à des séries évènementielles, « qui sont censées être regardées le soir de leur diffusion » mais aussi des petites séries qui se bâtiront grâce au bouche-à-oreille et aux marathons. « J’apprécie beaucoup Netflix et les marathons série. » Et aux cadres de la télé suisse qui se demandaient comment créer des séries aussi réussies, Antony Root a répondu : « Créer des programmes de valeur et d’intérêt. Trouver un moyen de raconter des histoires Suisses avec la même intensité et tact que vos homologues scandinaves ou flamands, par exemple. Ces derniers sont arrivés sur le marché international assez récemment, mais ont su tirer leur épingle du jeu. »

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