Suite, remake, reboot

Dumbo : l’appel aux marginaux

Burton et Disney continuent d’entretenir leur relation complexe et très ambigüe, en proposant après Alice et Frankenweenie une reprise totale, dépassant de loin un concept de remake, du classique Dumbo. L’occasion pour Burton de mettre en lumière certaines de ses peurs et de ses angoisses. 

Alors que Ferrier revient de guerre, un bras en moins, dans le cirque dans lequel lui et sa femme se produisaient, le bonheur est parti. Ses chevaux sont vendus, sa femme est morte et ses enfants ont du mal à reconnaître leur père estropié. C’est alors qu’arrive dans leur vie Dumbo, un éléphanteau aux oreilles impressionnantes, qui pourrait remettre le cirque sur pied, voir plus encore … 

Le Livre de la Jungle, La Belle et la Bête, Cendrillon… Tant de films passés à la moulinette de Disney ces derniers mois, classiques quasiment artisanaux refaits avec de gros moyens et des décors et personnes réelles (ou approchant du réel…). Burton lui-même n’est pas étranger à l’exercice, réalisateur de La Planète des Singes ou Alice, réadaptations comptant parmi ses films les plus critiqués et, paradoxalement, les plus lucratifs. Aussi, alors qu’il s’était fait discret récemment avec des films plus confidentiels tels que Big Eyes ou, dans une moindre mesure, Miss Peregrine, revoir Burton sauter dans le grand bain de la firme qui l’a tant déçu à une époque n’avait rien de réjouissant.

Pourtant, l’histoire de Dumbo est peut-être celle qui colle le mieux, sur le papier, à l’univers de Burton. Cet animal marginal, moqué de tous et abandonné de sa figure parentale, qui ne peut compter que sur d’autres marginaux pour s’en sortir résonne avec bien des films du réalisateur, comme Charlie, Big Fish ou Corpse Bride. Mais la surprise est de taille, en ce que ce qui aurait pu être la voie royale de facilité pour Burton n’est pas empruntée par lui, en ce que Dumbo décolle très vite ailleurs que ce qui était attendu de lui. En effet, la success story à l’américaine qu’était le film original devient ici une dénonciation amère de ce même modèle. Il n’est d’ailleurs plus vraiment question, sur le fond réel et tangible du film, d’abandon (le schéma narratif du film différant grandement de celui de son aîné), la marginalité prenant une place prépondérante et emmenant Dumbo bien ailleurs que vers un succès réel.

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Il n’est pas interdit, et même assez vraisemblable, de penser que le film puisse être perçu comme une sorte d’autoportrait de son réalisateur, qui à la lumière du récent John F. Donovan offre à son personnage principal un déroulé de vie assez similaire dans son commencement à celui de son créateur. Quand Xavier Dolan fantasme dans le film que la lettre qu’il avait écrit tout jeune à DiCaprio aurait pu recevoir une réponse, Tim Burton ici montre comme sa propre marginalisation, aussi douloureuse soit-elle, est in fine préférable à une adoration qui a pu le pousser à se renier jusqu’à ce que parfois, comme dans son Alice si décrié, il puisse expliquer à un spectateur médusé qu’il est toujours préférable d’entrer dans la norme et de faire ce qui est attendu de soi. Dumbo fonctionne sur ce modèle, seulement la réussite du personnage lors de son échappatoire ultime n’est la fin de l’histoire que pour le personnage, et non pour le créateur dont la musique du générique semble montrer qu’il est toujours, pour sa part, enfermé dans une sorte de solitude.

La contradiction manifeste de la proposition de Burton vis à vis du film original passe aussi par des considérations réalistes, et il est étonnant de voir à quel point le film nie l’aspect magique de son prédécesseur. Aussi, les animaux parlants deviennent muets chez lui, la séquence délirante des éléphants roses devient un simple numéro de cirque bien exécuté… Seules les oreilles permettant à Dumbo de voler sont conservées, ce qui renforce l’idée que c’est sur le caractère exceptionnel du personnage que le film repose : son entourage social et son univers de travail, eux, sont d’une grande banalité, voir des freins à son potentiel. Il n’est pas étonnant, dans cette optique de déstructuration du rêve Disneyien, que la mise en scène ordinairement si étrange de Burton soit ici aseptisée, comme si le réalisateur refusait d’un coup l’artifice, et faisait son possible pour montrer l’envers du décor… comme d’ailleurs quand il se montrait, dans Perigrine, en caméo à la caméra dépassé par les événements de son propre film. Il est loin d’être anodin, sur ce point, que le film parle avant tout d’humains, brisés, et ne fasse pas des animaux son moteur principal.

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Au fond, sous les quelques couches apparentes de guimauve (Dumbo est évidemment adorable) et d’optimisme, Burton semble ici bien plus déprimé et désespéré qu’il ne semble l’avoir été ces dernières années. Il est étonnant de voir que cette prise de conscience de ses propres failles et d’échecs dont il a pu être responsable s’accompagne d’une telle force dénonciatrice, arrivant in fine à faire dire à Disney que le conformisme est un piège, que le spectacle industriel est une illusion qui ne remplacera jamais l’artisanal… Un ensemble de métaphores qui trouve son point culminant quand le film, montrant un rachat d’un vieux cirque au bout du rouleau par une firme plus puissante, en montre aussi les aspects les plus sombres, comme le renvoi des anciens employés qui n’est pas sans rappeler les événements dénoncés du rachat de Fox par Disney elle-même. Sur ce point, Keaton est comme dans le Robocop de Padhila un vecteur de jeu tout à fait saisissant, représentant quasiment à lui-seul ce détournement de l’art du spectacle par but capitaliste. Aussi, ce qui aurait ici pu passer pour des vannes cyniques et désabusées comme Jurassic World en avait le secret résonne ici d’une drôle de manière, l’aspect pernicieux et horrifique de ces milieux déteignant en permanence sur les protagonistes du film. S’il peut paraître assez caricatural sur ce point, le message ici n’a jamais été aussi pertinent et dans son temps.

On ne peut qu’espérer que Burton soit, un jour, à même de sortir de la spirale qu’il dénonce ici, pour revenir comme Dumbo à une forme plus sereine de marginalité. Reste que le film, autant divertissement émotionnel enthousiasmant que véritable appel à l’aide, semble un vecteur de cette volonté du créateur de s’extirper de ce processus. C’est tout ce qu’on lui souhaite…

 

AMD

 

 

 

Adrien Myers Delarue

Résidant à Paris, A.M.D est fan de Rob Zombie, de David Lynch et des bons films d'horreurs bien taillés. Sériephile modéré, il est fan de cultes comme X-Files, Lost, ou DrHouse, ou d'actualités comme Daredevil ou Bates Motel.

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