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The Girlfriend Experience : l’expérience du spectateur

The Girlfriend Experience est une série produite par Steven Soderbergh et basée sur son propre film du même nom. C’est Starz qui est derrière la série.

The Girlfriend Experience est avant tout l’histoire de Christine Reade et de personne d’autre. Étudiante en droit et stagiaire chez Kirkland & Allen (un gros cabinet d’avocats de Chicago), elle semble tracer sereinement et sans passion une route vers une brillante carrière.
Sans passion, car un vrai désabusement et une vague indifférence surnage sur son visage. Comme si ce n’était pas assez. Comme si tout cela était vain. Comme si elle cherchait quelque chose d’autre. C’est là qu’Avery Suhr, sa meilleure amie à l’université va l’initier à l’activité d’escort girl. Si la motivation financière et le plaisir de naviguer dans des strates élevées ne fait aucun doute, les raisons profondes de ce choix sont bien plus complexes qu’il n’y paraît, surtout en ce qui concerne le personnage de Christine.

En façade, c’est une jeune fille peu intéressante et qui ne cherche pas à l’être. Son souci d’invisibilité est particulièrement flagrant lorsqu’elle est confrontée à d’autres personnes de son sexe. Qu’il s’agisse de sa colocataire qu’elle zappe avec une pointe de mépris, de la conversation téléphonique qu’elle abrège au plus vite avec sa mère ou encore quand elle se met en mode automatique total avec la personne qui lui fait visiter le cabinet, préférant découvrir l’ensemble avec ses yeux, Christine est juste incapable de socialiser avec qui que ce soit. Ou alors elle ne le souhaite pas.
Seule Avery parvient à susciter un peu d’enthousiasme chez elle. Leur camaraderie est bien réelle mais pour Christine, celle-ci va progressivement évoluer en une fascination non pas pour ce qu’Avery est, mais pour ce qu’Avery fait. Une route, où elle va pouvoir explorer et mieux comprendre ce qu’elle est en train de ressentir, est en train de se former. Cette route, elle ne va pas l’emprunter seule. Le spectateur est son passager.

The Girlfriend Experience est une série télévisée dramatique américaine produit par Steven Soderbergh et basée sur son film éponyme, prévue pour le 10 avril 20161 sur Starz et sur Super Channel2 au Canada. Les 13 épisodes de la première saison seront mis à disposition le 10 avril 2016 sur les services de streaming de la chaîne Starz3.
Si cette série a été créée, écrite et mise en scène par Amy Seimetz et Lodge Kerrigan, elle porte bien la marque de Steven Soderbergh qui a véritablement contrôlé cette expérience filmique de bout en bout. Son aura est partout. Dans la mise en scène (je suis presque certain que c’est lui qui a réalisé la première scène, celle où l’on voit l’héroïne marcher de dos vers la chambre où l’attend son amie), dans le score musical de Shane Carruth (très proche des ambiances de Cliff Martinez) et surtout dans cette élégance sobre qui parfume mystérieusement cette série.
Non seulement le spectateur accompagne Christine partout, mais il ne bénéficie aussi seulement que des mêmes informations qu’elle. Car, excepté 5 petites secondes où après son départ de l’entretien, son patron se félicite de l’intérêt de sa nouvelle stagiaire pour les activités du cabinet, aucune information ne nous sera jamais offerte autrement que par les yeux ou les oreilles de Christine. 5 secondes. C’est bien simple, la mise en scène va la suivre partout. Et nous avec.
L’identification est totale. Le spectateur va pouvoir beaucoup vaciller.
Ainsi la première scène de ce pilote au titre révélateur (« Entry ») est clairement une invitation. Nous sommes nous aussi invités à entrer dans cette chambre (et donc dans cette histoire) avec Christine.
Via ce procédé d’identification, le spectateur va pouvoir partager (parfois bien malgré lui) toutes les émotions que la jeune fille va traverser dans son expérience tant d’escort girl que de stagiaire ou d’étudiante. Et lorsque de temps à autre, l’opacité sera présente sur son visage ou dans ses réactions, l’imaginaire et les fantasmes du spectateur prendront le relais et seront mis à rude épreuve.
Nous entrons donc dans cette série comme Christine entre dans ce monde d’escort girl : sans savoir ce qui nous attend. Ici, l’excitation n’est pas le sentiment qui domine. On a plus affaire à un sentiment confus d’inquiétude mêlé à de la curiosité. Car au fond, Christine est loin d’être euphorique à l’idée de franchir le pas. Elle sait simplement qu’elle souhaite le faire et que l’argent n’est apparemment pas sa raison principale. C’est une fille qui à la base aime garder le contrôle de sa vie, de ses choix et de ses relations. Aussi, avant de faire le grand saut, elle va se rassurer en passant la nuit avec un inconnu prénommé Craig qu’elle aura elle-même choisi. Le point d’orgue de cette soirée se situant lorsqu’elle interrompra un corps à corps très sensuel avec ce dernier pour l’inviter à la regarder s’épanouir dans de voluptueuses délices individuelles. Complètement piégé et dérouté, Craig finira par se muer en imitateur consentant.
Quant au spectateur, éjecté soudainement de la psyché de Christine, il pourra s’abandonner s’il le souhaite ou se sentir vaincu.

Si Christine éprouve un tel besoin du contrôle, alors on peut s’interroger pourquoi elle souhaite désormais se retrouver dans des situations où désormais les imprévus et éventuels risques sont règle. Que peut-il bien se passer dans sa tête pour qu’elle ait si envie de devenir escort girl ? Une simple mimèsis, après avoir su que son amie Avery pratiquait cette activité aussi, semble exclue. Il s’agit vraiment d’autre chose.
Et je pense que Christine ne le sait pas encore elle-même. Un peu comme dans « Sexe, Mensonges et Vidéo » (1989) où le personnage incarné par Andie MacDowell éprouvait le besoin de se confier et de laisser libre cours à ses fantasmes devant un interlocuteur qui la filmait, sans vraiment savoir pourquoi.
S’il n’existe pas véritablement de combat intérieur chez Christine, il est évident qu’elle doit inconsciemment désirer connaître les raisons qui la poussent vers cette activité d’escort girl. C’est donc en la pratiquant qu’elle pourra en savoir plus sur ses motivations et ses envies. Au fur et à mesure de ses expériences, elle finira peut-être par mieux cerner les raisons qui la poussent à faire cela. Parfois, le seul moyen de comprendre pourquoi on aime faire du vélo, c’est d’en faire.
Le spectateur n’est pas en reste, car lui aussi est invité à regarder la série afin de mieux comprendre pourquoi il la regarde. Avec toujours ce sentiment diffus mêlant curiosité et malaise.

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Cette quête personnelle sera sous doute ardue et éprouvante car Christine va devoir affronter des sentiments nouveaux. Ici, elle va devoir s’adapter, apprendre à désirer et provoquer le désir. Mais surtout, elle va être confrontée à l’effacement de sa vraie identité au profit d’une autre. Au risque de se perdre. Le confort procuré par son flirt d’un soir est déjà loin. Le contrôle qu’elle avait sur les événements aussi. Ou alors elle devra le reconstruire différemment.
L’épisode se termine d’ailleurs sur les yeux de Christine, tout juste laissée seule par son amie, avec son potentiel premier client. Et ce regard… Un regard plein de détermination inquiète. Un regard plein de curiosité fiévreuse.

Sur l’identité par ailleurs, un jeu glissant semble très discrètement s’installer entre Christine et son patron. À deux reprises en effet, celui-ci va l’appeler Carrie au lieu de son vrai prénom. Et c’est après qu’elle lui aura rectifié son erreur une deuxième fois qu’il lui avouera qu’il était juste en train de blaguer. Dès le premier épisode, il lui montre déjà qu’il possède l’ADN d’un client potentiel. Plus intriguée que vexée, elle s’amusera à en faire de même avec son flirt de l’autre soir lorsqu’en le recroisant elle l’affublera du prénom Greg au lieu de Craig. Avec ce petit sourire malicieux qui en dit long sur son plaisir d’avoir expérimenté une petite audace.
De son côté, Avery, son amie utilise le pseudonyme d’Ashley lorsqu’elle devient une autre. Histoire de la titiller, Christine ne manquera pas de lui faire remarquer que c’était ce prénom qu’Avery aimait quand elle était petite. Une réflexion qui la mettra assez mal à l’aise. Après tout, Avery ne sait peut-être pas forcément les raisons qui l’ont conduit à faire ce choix et les origines de celui-ci pourraient bien remonter à son enfance et aux rapports que ses fantasmes entretenaient avec le monde adulte.
Et on sait tous à quel point les frustrations de l’enfance peuvent être persistantes.
« Tu peux être n’importe qui. » est la réponse qu’elle fera à Christine. Sans le savoir, elle vient d’appuyer sur un nerf. Quelque chose se passe dans ses yeux, comme la confirmation d’une nécessité.

Enfin, une explication pour comprendre la détermination de Christine se trouve peut-être dans 2 moments où son visage va laisser transparaître une mélancolie assez brûlante, presque douloureuse.
La première scène se déroule quand Avery téléphone à son client depuis la maison de celui-ci. Christine va surprendre cette conversation sans que son amie ne le sache et les mots qu’elle va entendre vont très clairement la blesser.
« Où es-tu ? »
« Tu me manques. »
« J’ai tellement hâte de te voir. »
« J’aimerais pouvoir t’embrasser. »
« Je t’aime aussi. »
Ces mots prononcés par Avery en direction de son client font très mal à Christine.
Pourquoi ?
Est-ce que ce sont des mots qu’elle aimerait être capable de prononcer mais qu’elle ne peut plus ?
Ou bien est-ce le contraire. Est-ce que ce sont des mots qu’elle aimerait pouvoir entendre de la bouche de quelqu’un et qui lui seraient adressés ?

La deuxième scène est une phrase prononcée à son potentiel premier client (beaucoup plus âgé qu’elle) après que ce dernier l’ait interrogé sur sa manière de discuter avec les hommes qu’elle côtoie.
« Je n’ai jamais eu d’homme à qui je voulais parler tout le temps. » lui dit-elle.
Juste après avoir prononcé cette phrase, les yeux de Christine vont s’embraser dans une intensité difficilement contenue.
Si elle vient certes d’avouer à demi-mots que c’est la première fois qu’elle s’apprête à faire l’escort girl, ce qui est déjà dur en soi, un double sens beaucoup plus douloureux peut être entrevu.
L’absence d’un père. Le repère d’une vie avec qui elle n’aurait jamais pu avoir d’échanges pourtant si nécessaires.

Christine est donc avant tout une personne qui cherche, à travers ce métier, à combler un manque. Lequel ? Le sait-elle elle-même ?
Ses prochaines expériences l’aideront sans nul doute à y voir plus clair. Mais le prix à payer sera éventuellement douloureux car derrière la lumière et la vérité se cache souvent une souffrance enfouie depuis longtemps.

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