On a testé

The Affair : Le grand bain trouble

Moins flashy que la plupart des nouveautés de rentrée, « The Affair » (dimanche sur Showtime, mardi soir sur Canal + Séries) déconstruit les prémices d’une affaire extraconjuguale en éclatant sa narration. Flottant, prenant mais en vase un peu trop clos malgré des interprètes qui ont déjà une forte idée de leurs personnages.

« The Affair ». Le titre semble un peu pompier, surtout que l’imaginaire du sériephile s’active derrière ce concept. Après tout, les aventures et tromperies en elle-même sont souvent le ressort de beaucoup de séries en mal de rebondissements. Tellement de films ou de séries télé ont brillamment déconstruit la mécanique des envies d’ailleurs, ont modulé le risque de ces aventures, puis l’inévitable découverte et les ruptures/arrêts nets/tragédies qui s’ensuivent. En promettant donc ce schéma, ou une variation de ce schéma, la nouvelle série de Showtime a peu de mal à accrocher le sériephile plus que jamais noyé sous le torrent de nouveautés de rentrée, qu’elles soient américaines ou européennes. Oui mais voilà : « The Affair », c’est avant tout un point de vue spécifique et une identité.

La série a pas mal de points en commun avec « Masters of Sex » et « In Treatment », cette dernière partageant avec elle le créateur israélien Hagai Levi. De la première, elle a la verve de montrer les crevasses psychologiques de son tandem principal, et une relation qui va dépasser les limites de leur profession lorsqu’ils se prêteront comme cobayes à des expériences autour de leur étude comportementale sur la sexualité. Une série qui n’a également jamais sacrifié ses personnages sur l’autel des rebondissements soapy, ce que semble accomplir « The Affair » pour ses deux premiers épisodes. Et « In Treatment » partage une construction en blocs de 30 minutes et un focus sur un personnage. En l’occurrence, Hagai Levi et sa cocréatrice Sarah Treem (également à l’oeuvre sur « In Treatment » et « House Of Cards ») adoptent le point de vue des deux parties impliquées dans l’aventure, l’écrivain Noah (Dominic West) et la serveuse Alison (Ruth Wilson). Alors qu’ « In Treatment » avait pour but de déconstruire leurs personnalités et les faire lentement s’éloigner de leurs troubles en les comprenant par la voix de Paul Weston, ici ils sont interrogés par un policier dans le cadre d’une enquête impliquant une de leurs connaissances.

Pour une série parlant de l’inéluctable dissolution de deux mariages, « The Affair » semble épouser ce point de vue au plus près, mais en ne laissant pas le téléspectateur dupe de ses limites. On est ici placés dans la position du flic qui tente de comprendre, afin d’élucider une affaire externe, mais ce spectre policier est loin d’être l’intérêt de ses créateurs. On découvre la famille de Noah, ses quatre enfants, dont deux d’entre eux le méprisent ; et le comportement ouvertement sexiste du patron de bar où travaille Alison, qui se remet doucement de la mort de son fils de 5 ans, qu’elle a eu avec Cole (Joshua Jackson). On ne doute pas que ces explications et cette contextualisation soient sincères…. jusqu’au moment où on en arrive aux comptes rendus sur leur rencontre dans les Hamptons, et c’est là où Noah et Alison divergent de manière significative. Mais pas de manière cartoonesque : on comprend que chacun veut se protéger en décrivant le comportement aguicheur de l’autre. Les mêmes lieux sont visités, les mêmes moments retranscrits ; les nuances sont très différentes. Et le téléspectateur va devoir reconstituer la vérité, qui est, comme de bien entendu, entre les deux.

« The Affair » c’est d’abord le téléscopage narratif rendu subtil, d’où l’idée de convoquer des vieux routiers du drama de prestige, en l’occurrence Maura Tierney et Dominic West. En dehors de couvrir la relation Noah-Alison en elle-même, les propres craintes de leur entourage sont projetées de manière intelligente. Evidemment, il n’y a pas de dialogues à deux sous pour jeter l’opprobre sur l’idée de l’adultère ; mais peu à peu se dessine le trauma de certains personnages secondaires causés par l’adultère, ce qui est la source d’hésitation des deux parties. Le passé proche d’Alison est esquissé en quelques scènes, et sa relation avec Cole est passée par une longue thérapie, et de longs questionnements. Le quatuor a eu un passé, et un passif bien avant le pilote, et c’est bien ce qui pèse aux entournures de ces débuts : un des signes qu’on est en présence d’un drama élégant. Ce que Levi et Treem souhaitent montrer, c’est que « The Affair » semble être un échappatoire facile dans le cadre bucolique, perpétuellement estival des Hamptons, mais que son déroulement pratique ne peut en aucun cas répondre aux clichés du genre.

Le défaut de « The Affair », c’est justement de ne montrer le début de cette aventure par le petit bout de la lorgnette. Autant les séries actuelles de HBO semblent bâties autour de casts et de concepts macroscopiques ; autant « Masters Of Sex » et « The Affair » semblent des études au microscope de l’intime de deux familles. Et Cole tout comme la femme de Noah, Helen, sont décrits comme des êtres imparfaits mais qui semblent avoir un attachement renouvelé à leur moitié. Mais ils ne sont pas décrits indépendamment, et la série semble prendre la saison entière afin de pouvoir multiplier les perspectives, ce qui se fait au détriment des capacités de Maura Tierney comme de Joshua Jackson. Par ailleurs, la lenteur narrative des deux premières heures n’est pas forcément faite pour caresser le téléspectateur dans le sens du poil. « The Affair » demande plus que deux épisodes pour pouvoir apprécier ses qualités comme ses travers, mais la simplicité de son idée de départ peut fonctionner en sa défaveur.

Diffusion du pilote mardi 14 à 21h30 en VOST, puis en rediffusion à 23h10, sur Canal + Séries.

 

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