On a terminé

Show Me a Hero, chronique démocratique

Un an et demi après la fin de Treme, David Simon nous est revenu, le temps d’une mini-série de six fois une heure, nous proposer ce qu’il fait le mieux : une plongée dans la complexité et la quotidienneté d’une problématique politique.

Basée sur le livre d’une journaliste du New York Times, Lisa Belkin, la série relate la difficile mise en œuvre d’une loi imposant la construction de logements sociaux dans les quartiers blancs de la ville de Yonkers, New York. Inspirée par l’urbaniste Oscar Newman, cette directive destinée à endiguer la criminalité des grandes tours en offrant la possibilité à chacun de se sentir responsable de son bout de terrain, y a, en effet, rencontré une résistance telle qu’elle a mis plus de dix ans à se concrétiser.

Suivant pas à pas ce parcours du combattant, à travers la figure de Nick Wasicsko, le jeune maire ayant permis au projet de voir le jour, Show Me a Hero n’en est pas pour autant un biopic se contentant de reconstituer une décennie, les années 80, terne et intolérante et des débats techniques totalement opaques. Cette entrée en matière s’accompagne, en effet, d’un point de vue bien plus large en nous donnant à voir le cheminement des acteurs invisibles de cette histoire, les futurs locataires, ceux pour qui ces délais interminables se sont traduits en années de galère.

HBO
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Ce n’est pas une découverte, en nous racontant quelques destins individuels, Simon arrive parfaitement à nous faire voir les enjeux globaux, politiques, économiques, judiciaires, sociaux, qui les déterminent. Si cela est particulièrement évident dans cette multiplication des points de vue, ça l’est de manière tout aussi éclatante dans le choix de son héros principal, le jeune maire, avide de politique, dont le destin a fini par se résumer à cette histoire.

Bien plus qu’une dénonciation simpliste du racisme et de l’intolérance d’une Amérique blanche saturée de préjugés sur les habitants des quartiers pauvres, la série nous dessine, en effet, en creux le portrait cruellement juste d’un système démocratique malade. Incapable de faire comprendre à sa population les impératifs techniques auxquels il est soumis, pas plus qu’une vision à long terme, celui-ci fonctionne irrémédiablement sur le populisme, intimidation contre séduction.

Show Me a Hero
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Face à l’unanimité de la foule en colère, la tentation est grande, en effet, de considérer ces mesures impopulaires comme autant d’atteintes aux principes démocratiques. Certains s’engouffrent d’ailleurs volontiers dans la posture confortable de portes parole d’une population excédée. Si Show Me a Hero nous dévoile quelque chose, pourtant, c’est bien combien cette posture est trompeuse. Sourd aux impératifs institutionnels, autant qu’aux réalités vécues par certaines catégories silencieuses de la population, ce simulacre de démocratie directe n’est finalement capable que de maintenir le statu quo, et donc les privilèges.

Ce jeu de dupes, si nous savons combien il est frustrant dans notre expérience de citoyen, révèle également, à travers cette histoire particulière, le caractère tragique qu’il peut représenter pour certains élus. Nous rappelant constamment que la politique, bien plus que des idéaux et des principes, c’est avant tout la vie d’hommes et de femmes, la série explore aussi les ravages que l’exercice du pouvoir et l’expérience de l’impuissance peuvent provoquer.

Show Me a Hero

Tiré d’une citation de J. Scott Fitzgerald, “Show Me a Hero and I’ll Write You a Tragedy”, le titre annonce d’emblée la couleur. Profondément pragmatique, cette œuvre se refuse à tout éloge du héros intègre et magnifique portant seul et à bout de bras le bien commun. Elle nous montre, au contraire, combien celui-ci se construit non seulement pas à pas mais manifestation de bonne volonté après manifestation de bonne volonté. Elle nous montre aussi que derrière une action « héroïque » ou en tout cas reconnue comme telle, se cachent au cœur de ceux qui les accomplissent des motivations floues, des destins brisés et des blessures dont on ne se remet pas.

Bref, vous l’aurez compris, malgré les abords un peu austères de la reconstitution de faits réels et souvent abscons, Show Me a Hero parvient en six épisodes à construire un propos subtil et intelligent sur un thème plus que jamais d’actualité. Servie par des acteurs impeccables, un scénario parfaitement maitrisé et une mise en scène soignée, cette mini-série se révèle passionnante et touchante. Un tour de force !

Rose Digitale

Sériephile pathologique, également auteur d'un podcast sur les séries : http://seriesfolie.be/podcasts/feed/

Une réflexion sur “Show Me a Hero, chronique démocratique

  • Everett

    Et bé, un immense bravo pour cet article. Il est très bien écrit, clair, intelligent. Il en dit juste ce qu’il faut sans pour autant raser le sol et vu le thème de la série, c’est pas forcément évident (je lis tellement de bouses sur des trucs pourtant bien plus bêtes) franchement, je sais pas si j’aurai un coup de coeur pour la série (y’a quand même des chances) mais pour cet article, mille fois oui. Je repasserai sur ce site.

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