Jukebox Motel est le premier roman de Tom Graffin paru le 23 mars dernier aux éditions JC Lattès. Dans le monde littéraire, où existent des comètes furtives et brûlantes qui vous coupent le souffle avant la dernière parole dactylographiée, on trouve aussi des microcosmes abyssaux. Jukebox Motel est de ceux là. Le paradoxe se plaît à régner.
Dans un premier temps, Jukebox Motel entraîne le lecteur dans un cocon où aucun détail n’est oublié : de la couverture dessinée telle une carte onirique et fantastique à la création d’une bande son du roman, permettant de rendre l’histoire palpable et de vibrer avec les personnages du récit. Puis tout à coup les repères établis s’effacent ; l’histoire se déconstruit, ne laissant apparaître que le souvenir originel, à l’image des mots que le héros Thomas Shaper dissèque méticuleusement pour mettre en lumière leur essence.
Nous sommes le 6 juin 1965, jour où Thomas Shaper décide de défier le déterminisme familial, pour tenter l’aventure d’artiste aux États-Unis. La « fortune » lui tend une main qui fera de lui Robert Fury, artiste fantasmé, artiste tempétueux, artiste désincarné. Jukebox Motel peint la société dans un entrelacs de spéculations sur la valeur, de provocations, de déconnexions entre l’esthétique et le génie pictural. Cette expérience new-yorkaise provoque richesse et fugue de ce jeune adulte vers les terres de Californie, au prix de l’insupportable distance avec son Indamante Indamoureuse, Joan.
Arrivé en terre promise, Thomas Shaper cherche une rédemption au goût agrume et amer de Sherry Cobbler. C’est finalement une rencontre qui change définitivement son existence, celle d’un homme au paroxysme de sa gloire mais en quête d’un asile, Johnny Cash. Sur le fondement d’une promesse entre les deux hommes débute alors la recherche puis l’édification obstinée de ce « diable d’endroit » connu sous le nom de Jukebox Motel.
C’est au rythme des airs et figures légendaires américaines, des portraits les plus inattendus et attachants, des saisons, que se déroule l’existence d’un homme éternellement rattrapé par ce qu’il cherche le plus à fuir. La sombre mémoire familiale sous l’éternelle égide maternelle, sa destinée reniée, le souvenir de ses premières heures d’artiste, le besoin de l’être aimé…
A travers une expression simple et poétique, Tom Graffin nous entraîne dans un univers qui nous rappelle qu’il est avant tout un artiste mélomane. La construction de Jukebox Motel, loin des traditionnels chapitres, est une succession d’indices autour desquels se bâtit et gravite la trame. Loin de délivrer le lecteur à la fin de sa lecture, l’aboutissement de cet écrit trouve en réalité son explication au principe de l’ouvrage, créant ainsi un effet de circularité vertueuse : « Si le feu brûlait ma maison, qu’emporterai-je ? J’aimerais emporter le feu » Jean Cocteau, Clair Obscur.