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Designated Survivor : il faut tenter de vivre

Designated Survivor est l’une des excellentes surprises de la rentrée séries. Extrêmement efficace, le show avec Kiefer Sutherland en tête d’affiche est prenant comme rarement un show l’a été. Après un pilote captivant, la série avait fort à faire pour maintenir notre attention. Verdict.

Rappelons que Designated Survivor raconte l’arrivée au pouvoir de Tom Kirkman dans des conditions désastreuses : alors qu’il est un secrétaire d’Etat au Logement sur le point d’être viré, il est propulsé à la présidence après un attentat qui rase le Capitole et tue quasiment toute l’administration américaine. En tant que « designated survivor », il est officiellement intronisé. Il doit ainsi rassurer le pays, lui redonner confiance, mais également gérer des crises, à commencer par sa légitimité au poste, refaire un Sénat, un Congrès, un Cabinet, mais aussi traquer les assassins, et découvrir les circonstances de ce drame…

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Il est intéressant de constater qu’au milieu des atermoiements sériels, où l’Amérique propose toujours plus de contenus préformatés, anciens et nouveaux, sans distinction particulière entre eux, ce soit une nouvelle série politique, sortie au milieu des élections américaines, 15 ans après le 11 septembre, et qui condense absolument tout ce qui fait la particularité de ce pays (la mise en scène de la grandeur de la nation, les grandes valeurs du vivre-ensemble, la représentation de la difficulté du pouvoir politique, l’insistance sur le côté humain…) qui nous surprenne tant sur un network. Peut-être parce que Designated Survivor, qui a trouvé dans son concept l’une des rares fenêtres de tir pour développer une nouveauté, s’emploie à sublimer cette particularité si américaine. La grande force de la série est de réussir à maintenir un rythme extrêmement soutenu, et de retranscrire à l’écran une tension profondément véritable : celle de la première puissance mondiale, touchée en son coeur même, qui doit se débrouiller avec les moyens du bord et un Président autoproclamé « indépendant » (mot qui ne veut pas dire grand-chose politiquement aux Etats-Unis) pour sortir la tête de l’eau, entre confiance et défiance. David Guggenheim et son équipe, plutôt que de faire une nouvelle représentation du maniement du pouvoir, s’emploient à montrer l’étape précédente, à savoir comment est-ce qu’on le manie, et appuyant sa représentation par cet attentat, qui démunit totalement le pays, et, au contraire d’un film, l’oblige à accepter comme rarement le pays l’a accepté, de ne pas avoir le contrôle des événements. Dans cette fourmilière que représente la vie politique américaine, Designated Survivor a réussi à tirer, via un épanchement dramatique qui est parfois saisissant de vérité, une authenticité, avec Tom Kirkman, l’homme habituellement discret sur qui les projecteurs se braquent malgré lui, sur le devant de la scène, en porte-drapeau.

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Plutôt que dans ses heures de gloire, l’Amérique est filmée dans ses heures de détresse (le décor du Capitole détruit est impressionnant). Plutôt que dans son aura éblouissante, l’Amérique est montrée comme blessée (il lui faut ainsi des semaines pour qu’un Congrès renaisse, laissant Kirkman seul aux commandes). Et, comme le pilote le dit presque sous forme de manifeste, nous ne sommes pas dans un film (marrant quand on sait qu’on assiste à une série) où tout peut être réglé en un claquement de doigts. Designated Survivor a appuyé là où ça fait mal pour toucher directement son public : la réminiscence du 11 septembre, clairement évoqué comme seul traumatisme profond, et qu’on essaie d’examiner à la loupe. En remixant, à sa sauce, toutefois : qu’est-ce qu’on aurait pu faire, qu’est-ce qu’on aurait dû faire, si George W Bush n’avait pas été au pouvoir pour lancer le pays dans une guerre déshonorante ? Comment la prudence peut-elle être de mise, comment peut-on réussir à rassembler le pays et ne pas tomber dans une dérive émotionnelle dangereuse (abordée quand on voit que Majid Nassar est proche d’être soumis à la torture), surtout quand on est acculé hors et dans son propre camp ? Comment protège-t-on sa famille quand on passe d’un poste moins exposé à celui de Président ? Que chaque décision peut être préjudiciable, voire loin de ses principes d’intérêt collectif, mais nécessaire dans l’intérêt du pays (comme quand il fait enfermer un gouverneur récalcitrant) ? Que tout est su presque avant soi et qu’on doit gérer dans l’après-coup en faisant comme si on gérait avant-coup ? Autant de questions que Designated Survivor explore avec une précision et une concisions remarquables. La série fait même mieux en étant très actuelle : le sujet des écoutes est notamment abordé comme agent encombrant. Mais surtout, l’ombre de l’élection plane sur le show, avec l’idée de garder la tête froide et de ne pas céder à la violence des mots. L’attentat, en tant que meurtrissant, rappelle bien sûr Paris et Bruxelles ces derniers mois. C’est peut-être aussi dans cette actualité que Designated Survivor se veut être le porte-parole d’un mouvement de rassemblement : en faisant de Kirkman un indépendant, elle ne prend position pour aucun parti, et choisit l’universalité comme valeur sur laquelle le pays doit s’appuyer en temps de crise. Ce qui lui donne un côté JFK, le goût pour les femmes en moins, dans le winter finale, dans la mesure où JFK comme Kirkman savait être ferme, mais avait un charisme qui transcendait la logique de parti.

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Mais qu’on ne s’y trompe pas : cette universalité aussi va être mise à mal par des gens qui n’en ont que faire. Hors du pays, avec Al-Sakar, mais aussi au sein même du pays. Ainsi sa légitimité, fondée sur le hasard, est remise en cause, et la puissance de l’interprétation de Kiefer Sutherland réside dans cette capacité à jouer l’ambivalence entre l’homme meurtri et le président digne mais contraint, celui qui doit faire des concessions au pouvoir sur qui il est, comme un pacte, l’un des points les plus importants étant le doute levé sur sa paternité de son fils. De plus, le pouvoir reste tentant, et pour Kimble Hookstraten, designated survivor de l’opposition, voir le pouvoir s’échapper alors qu’il est à portée de main est assez frustrant ; on a également Aaron Shore, qui a une image de plus en plus troublée quand on voit le final ; mais bien évidemment c’est Peter MacLeish, le nouveau vice-président, qui est au coeur des interrogations. La série a pris en ce sens un pari risqué : à l’inverse de House of Cards, dans l’observation des machinations de Franck Underwood ; ou de The West Wing, qui avait un côté familial, Designated Survivor a choisi d’insérer un côté thriller qui contrebalance le rythme de la présidence (et d’autant plus que ce que ce thriller raconte se fait sous le nez d’un Kirkman inconscient). Mais là encore, la série s’en sort par son écriture efficace : tout s’enchaîne, les événements s’imbriquent, le rythme est soutenu, et on est d’autant plus happé que nous, spectateurs, savons des choses que ce nouveau Président qui a tout pour plaire ne sait pas. La force de ce côté thriller, dont le point culminant est la toute fin du winter finale se concluant par un cliffhanger étouffant, est qu’il a su s’installer comme élément à part entière de la série, et non comme simple intrigue parallèle hachant le rythme, notamment grâce à l’interprétation convaincante de l’omniprésente Maggie Q en Hannah Wells, qui, comme Kirkman est un insubordonné politique (ce qui lui valait notamment son licenciement avant l’attaque), est l’insubordonnée du FBI (et paiera probablement les pots cassés dans l’épisode 11), et amène l’élément perturbateur dans une situation qui veut tout sauf de la perturbation.

D’autres questions restent néanmoins en suspens : le licenciement de Kirkman cachait-il quelque chose ? Jusqu’où veut aller Kimble Hookstraten ? Hannah Wells fera-t-elle entendre la vérité ? Que fait Al-Sakar après la mort de Majid Nassar et l’attentat manqué contre Kirkman ? Qui sont ceux qui veulent MacLeish à la tête du pays, au point de vouloir tuer Kirkman, et celui-ci a-t-il survécu ? Le pays va-t-il se relever ? Autant de questions que la série a soigneusement gardées pour l’instant sans réponse. Et on sera là pour assister au grand dévoilement. Designated Survivor revient en janvier sur ABC.

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

6 réflexions sur “Designated Survivor : il faut tenter de vivre

  • La série devient de plus en plus passionnante, en particulier lors des deux derniers épisodes diffusés.

    Par contre, DS ne revient pas en janvier sur ABC mais le 8 mars. 😉

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    • Leo Corcos

      Ah c’est pour moi l’une des séries de la rentrée. Je ne m’attendais à rien, et je me retrouve plongé dedans avec plaisir chaque semaine ! 🙂

      Ah oui ? Je n’avais vu que des « janvier 2017 » ! Merci de l’information (qui me rend triste, parce que 3 mois sans cette série ca fait beaucoup…)

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  • Rackam LeRouge

    effectivement très efficace cette série. L’un des clifhanger les plus frustrant depuis longtemps!

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