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Besson, Hollywood, les super-héros : pour ou contre le nouveau Monde ?

Cet article n’est pas une énième excuse pour parler du Cinéma de Luc Besson et de ses mauvais travers. Ici, on parle de l’homme. Et surtout, de sa position par rapport au fleuron du cinéma américain contemporain : les films de super-héros.

Au court d’une interview pour le site espagnol CinePop, reprise et traduite par nombre de sites américains (comme Comicbook.fr) et français (comme Comicsblog), Luc Besson est amené à parler de l’échec de son nouveau film (Valerian et la Cité des Mille Planètes) au box-office américain). Fort de sa fierté qui le caractérise, le réalisateur (encouragé par le journaliste qui veut en savoir plus sur son avis sur le Cinéma américain après la critique acerbe qu’il vient d’en faire) se lance dans une diatribe sur le cinéma de super-héros américain et sur sa main-mise sur le monde. Après une traduction que l’on espère fidèle du texte de l’interview, prenons le discours pour le déconstruire et, peut être, trouver les arguments qui y seraient, sinon pertinents, aux moins recevables.

Besson
Valerian, par Luc Besson.

« J’en ai totalement marre de ça (le Cinéma de super-héros). Totalement. Je veux dire, c’était génial il y a 10 ans de voir le premier Spider-Man, Iron Man, et maintenant on en est au numéro 5, 6, 7. Il y a des super-héros qui travaillent avec d’autres, mais ce n’est pas la même famille, je suis perdu.

Mais ce qui me dérange le plus c’est que c’est toujours là pour montrer la suprématie des américains et comment ils sont géniaux. Je veux dire, quel pays dans le Monde aurait les tripes d’appeler un film « Captain Brazil » ? Ou « Captain France »? Personne ! On aurait honte et on dirait, non non, on ne peut pas faire ça. Eux, ils le peuvent. Ils l’appellent « Captain America ». Et tout le monde pense que c’est normal. Donc moi, je ne fais pas ça pour la propagande, je suis là pour raconter une histoire ».

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Spider-Man, par Sam Raimi.

Le premier paragraphe, au fond, n’est pas vraiment du neuf. Voilà que le réalisateur de Arthur et les Minimoys 1, 2 et 3 nous explique tout le mal qu’il pense des logiques de suites à Hollywood. Au fond, il se contente de reproduire l’avis (pertinent dans un autre contexte, venant du cinéphile lambda ou du spectateur rincé à un genre devenu trop prégnant à ses yeux) general : il y a trop de films de super-héros au cinéma. Soit. Lançons nous dans une analyse sur ce sujet, exposons notre avis : d’un ou deux films par an, on est passé à une dizaine. Sur des centaines de films par an, une suprématie, vraiment ?

Oui, mais commerciale : un rapide tour sur Box Office Mojo montre bien que, grosses franchises exclues (Star Wars, Harry Potter…), c’est bien le cinéma de super-héros qui domine, d’un point de vue financier. Au fond, le problème de ce genre de point de vue est toujours le même : on reproche à un certain nombre de films de ne pas s’arrêter à des one-shot mais à exister en logique de franchise, et donc devenir (c’est le cas ici), des genres à part entière. Venant de quelqu’un qui ne travaille pas dans le milieu, l’argument serait recevable : la franchise peut mettre en danger la création (j’étais le premier à m’en plaindre pour Star Wars). Mais venant de Luc Besson, lui même adepte des franchises et lui même créateur d’une, déjà citée ? L’argument a tout d’un coup moins de poids.

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Batman V Superman : Dawn Of Justice, par Zack Snyder.

Sur l’argument des différentes familles et de la confusion … N’y passons pas trop de temps. Cela se comprendrait pour un non-lecteur qui découvre ce cinéma très récemment et y est perdu. Cela ne peut se concevoir pour Luc Besson, pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu‘il est part de ce système (qui est aussi américain, ne lui en déplaise, on attend encore qu’il propose un blockbuster indépendant, français jusqu’au casting), et qu’il sait comment il fonctionne. Mais surtout, parce qu’il est cinéaste, qu’il a un sens de l’image.

Si il a été voir les films dont il parle, si il a été voir au moins un Marvel et un DC, il sait faire la différence, puisque cette dernière est évidente (ce n’est pas moi qui le dis, mais tout critique), tant au niveau du fond (sombre chez DC, plutôt comique chez Marvel) que de la forme (patte de réalisation chez DC, tentatives d’uniformisation chez Marvel pour rendre compte justement d’une appartenance de tous les films au même univers. On partirait donc sur la seconde théorie, moins sympathique envers Monsieur Besson : il parle de choses qu’il n’a pas été voir, donc il n’a vu que l’affiche et les bandes annonces. Cela expliquerait aussi qu’il place en même temps le premier Spider-Man et le premier Iron Man, selon lui sortis il y a 10 ans, alors que le premier en a 15 et le second 9… Et qu’ils sont loin d’être les premiers du genre à avoir eu du succès puisque Burton proposait déjà des Batman au tout début des années 1990. Passons.

Le second paragraphe a plus de sens, puisque Besson propose un argumentaire très pertinent mais se plante à la fois d’exemple et d’époque. Il part de ce constat de suprématie du Cinéma de super-héros américain (on a dit ce qu’on pensait du constat auparavant, mais admettons qu’il soit juste pour poursuivre le raisonnement) pour en faire une critique acerbe du système hollywoodien en expliquant que cette suprématie est symbolique de la manière dont les américains veulent dominer le Monde et se croient au dessus des autres. L’argument, si il a des airs de théories de complot, ne manque pas de pertinence, mais il est surtout vrai pour les films de la première vague, comme les Spider-Man évoqués, les Superman encore plutôt tôt, parfois à base de drapeaux américains et d’amour de la patrie, avec nombre d’exceptions (Watchmen en tête). Aujourd’hui, l’heure est plutôt justement à la critique de la société, les films existent par miroir de la société américaine contemporaine et par dénonciation (dans Batman V Superman, l’immigrant Alien rejeté de toute la société finit par se sacrifier pour sauver l’humanité … même immigrant qui, il y a 20 ans, était aimé de tous et se battait pour la Justice à la manière américaine). Les choses ont changé, et le discours de Besson laisse à penser que sa connaissance du sujet n’est pas à jour.

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Captain America : Civil War, par Anthony et Joe Russo

Ce manque de pertinence, cette erreur d’époque, est symbolisée par l’exemple que donne Luc Besson. Captain America. Il s’arrête au nom très patriotique du héros de Marvel pour en faire un symbole de la propagande donc il part. Le héros, effectivement, a bien été créé par Steve Ditko suite à la seconde guerre mondiale, et était au départ un moyen pour les survivants de ce conflit de proposer un nouvel espoir, dans ce héros aux couleurs de l’oncle Sam, représentant l’Amérique triomphante face aux nazis. Toutefois, c’est le Captain America des comics.

D’il y a 50 ans. Les choses ont changé depuis, d’abord dans l’œuvre papier mais aussi et surtout, et c’est ce qui nous intéresse ici puisque c’est le sujet principal qu’évoquait Besson, au cinéma. Le Monsieur qui nous fait une critique si acerbe des logiques des franchises hollywoodiennes n’a pas dû dépasser le premier film consacré au Captain puisque les suivants consistent justement à la prise de conscience du personnage du mal qui existe dans son propre camp. Dans Winter Soldier, le personnage découvre la corruption et les traitres présents au sein même de la faction où il travaille. Dans Civil War, il est amené à se rebeller face à une proposition de loi injuste et liberticide de son gouvernement, jusqu’à devenir hors la loi. Le personnage a fait du chemin, et sa cryogenisation d’un siècle l’empêche de se rendre compte que le mal existe partout, y compris dans son propre camp… Les films consacrés au personnage en rendent bien compte, et il découvre à ses dépends que l’Amérique triomphante l’est aux dépends d’autrui.

Luc Besson est il aigri d’avoir été si mal reçu aux USA, au point d’en cracher dans la main qu’il nourrit ? Est il sincère dans ses paroles, passant donc à côté d’une évolution qui dure depuis des années ? Si son propos est pertinent, c’est aussi et surtout le fait que lui même les prononce qui ne passe pas. Affaire à suivre …

AMD

Adrien Myers Delarue

Résidant à Paris, A.M.D est fan de Rob Zombie, de David Lynch et des bons films d'horreurs bien taillés. Sériephile modéré, il est fan de cultes comme X-Files, Lost, ou DrHouse, ou d'actualités comme Daredevil ou Bates Motel.

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