Suite, remake, reboot

Ghost In The Shell : Un bon live-action en demi-teinte

Cataloguée comme actrice à rôles sensuels et iconiques, Scarlett Johansson revêt à nouveau le costume d’élue surentraînée, gardienne de l’humanité en combinaison lycra pour incarner cette fois le Major Kusanagi, merveille cybernétique du film Ghost In The Shell, l’adaptation en live-action annoncée comme hautement spectaculaire de l’animé éponyme de 1995. Beaucoup de superlatifs pour un résultat mitigé mais globalement positif à considérer avant tout comme une œuvre Hollywoodienne inspirée du manga, bien que fidèle à son esprit et proposant une transcription visuellement intéressante.

 

Dans un futur pas si lointain (2030), la société mise sur les nouvelles prouesses technologiques en matière de cybernétique pour améliorer les performances du corps humain. La mode est au cyborg et un nouvel ordre s’instaure, celui des êtres perfectionnés. Considérée comme la fierté de cette industrie robotique, le Major est l’unique prototype alliant la complexité de l’esprit humain à la puissance d’un humanoïde dernier cri. Rescapée d’un naufrage meurtrier, le cerveau de la survivante a été greffé dans une toute nouvelle enveloppe charnelle de synthèse à la pointe de la technologie, gardant son esprit et ses capacités de réflexion intactes. L’héroïne prête ses talents convoités à la section 9, une cellule anti-criminelle qui doit faire face à de nouvelles formes de criminalité contre lesquelles le Major est la seule à pouvoir lutter efficacement. La traque d’un mystérieux hacker de ghosts (équivalent de l’esprit) nommé Kuze, la conduira sur une piste inattendue, celle de son passé et du secret entourant sa création.

 

Entre Science-Fiction, thriller futuriste à l’esthétique Punk imprégné de culture nippone, de robotique et d’eugénisme, le pitch de Ghost In The Shell est un véritable terrain de jeu philosophique (la philosophie est d’ailleurs partie intégrante du manga et des films d’animation), labyrinthe de symboliques dont l’intérêt est loin de se limiter au potentiel ludique d’un univers coloré peuplé d’hologrammes où la frontière entre réel et virtuel va se troublant. L’intrigue puise dans l’une des hantises les plus récurrentes de l’humanité à savoir une sorte de « théorie du grand remplacement » des humains par les robots et la disparition progressive de notre civilisation causée par la technologie. Une problématique qui en ouvre une autre plus subtile et d’actualité, dont le film fait d’ailleurs bon usage, celle de la perte de l’identité propre et de l’effacement des singularités au profit du standardisme, limitant les interactions entre les individus et les rapports essentiels à notre existence. Sur ce point, le manga est beaucoup plus sombre et pragmatique que ne l’est Rupert Sanders, proposant quelques sinistres exemples de l’usage mécanique des corps traités comme des outils -ce qui lui aura valu d’être censuré- et posant la question morale de la conscience et de l’intégrité d’un être synthétique à l’esprit développé. Des notions (qui ont été délaissées par le cinéma depuis l’I.A. de Spielberg ou dernièrement Ex-Machina), en partie présentes dans le film où l’héroïne s’interroge : en quête d’individualité dans ce monde en perte d’essence, elle questionne toute l’ambivalence de sa nature du fait de posséder un esprit humain dans un corps de robot bientôt manufacturé. Un brin de blues épisodique qui n’atteint malheureusement pas le spleen de l’animé.

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@Paramount Pictures France

Encouragé par Spielberg (chargé du projet en premier lieu) et Mamoru Oshii (qui est tout de même le créateur de l’animé original), Rupert Sanders revisite non sans pression mais avec passion cet arc culte inspiré du manga de Masamune Shirow, dans une version honnête qui respecte globalement l’atmosphère des films animés -en moins sobre- l’adaptant au format du blockbuster SF Hollywoodien. Une version ciné qui, il faut l’admettre, ne manque pas d’âme ni de souffle mais effleure curieusement le bluffant, manque de peu le sensationnel et risque d’en laisser plus d’un sur sa faim. Alors pourquoi l’effet global de ce qui était présenté comme un bijou, une expérience intense de live-action se trouve t-il finalement altéré ? Plusieurs choses sont en cause, à commencer par l’écriture du scénario : si le film ne s’éparpille pas et c’est bien là une qualité avec un sous-texte aussi chargé, les rebondissements majeurs plus que prévisibles -des revers classiques– sont condensés dans les dernières minutes. Le film se clôt donc sur une sensation d’inachevé déconcertante (celle qui vous donne l’impression de n’avoir assisté qu’à la première partie du film), compte-tenu des moyens déployés. Autre paramètre positif mais paradoxalement regrettable, Scarlett Johansson porte le film centré sur son personnage ; elle occupe l’écran, fait le job, en adoptant un jeu mimétique avec un tiraillement contenu, se glissant dans la gestuelle toute en retenue du Major, mais cette focalisation contraste avec les seconds rôles peu approfondis et donc trop effacés, ce qui nuit à l’intérêt que le spectateur pourrait porter à ces personnages pourtant clés malgré un casting intéressant, comme son coéquipier Batou (campé par Pilou Asbæk déjà au côté de Scarlett Johansson dans Lucy) ou encore le Dr Ouelet incarné par Juliette Binoche (plus utile que dans Godzilla). Les enjeux ne sont pas pour raviver le tout, le fond spirituel ayant été élagué au profit d’une intrigue moins dense, dépouillée de bien des détails qui auraient permis de montrer la diversité du monde de Ghost In The Shell, mais grand public oblige, le film ne s’adresse pas qu’aux fans de l’univers taciturne et pointilleux du manga et Sanders se contente d’en reprendre quelques éléments, qu’il adapte tout de même avec brio. Enfin le dilemme du compromis entre le spectacle science-fictionnel et l’ambiance esseulée de polar résigné si particulière dans laquelle baignait l’animé, se solde par un trop plein d’action, parfois encombrée d’effets de styles, et de scènes de labo illustratives reléguant finalement au second plan la tension constante et la solitude collective qui font la sève de ce monde résigné.

Mis à part ces bémols qui dérangeront certains plus que d’autres, Ghost In The Shell reste un bon film de Science-Fiction. Dynamique, divertissant et bien qu’il s’inspire visuellement d’autres exemples en la matière nourris de l’influence Asimovienne comme I-Robot et tire davantage sur la fantaisie vidéo-ludique que son modèle, il a le mérite de posséder ses propres codes puisque la franchise n’avait encore jamais été portée en live sur grand écran. Chose qui de nos jours se fait d’autant plus rare que la mode est au reboot. De plus, Rupert Sanders qui n’était connu que pour le peu réputé du public cinéphile (et à raison) Blanche-Neige et le Chasseur, fait preuve ici d’un respect délicat et appréciable pour l’œuvre d’origine dont il se dit ouvertement fan, et confère toute son utilité à la technique du live-action (essentielle pour donner vie à ce monde virtualisé), qui donne une belle envergure à l’action, avec de nombreux plans à l’atmosphère soignée qui exploitent joliment le contraste et la démesure de l’urbanisme atypique des grandes métropoles asiatiques, dont une très belle scène nocturne dans la baie de Hong-Kong ou un combat en plein faubourg dans une étendue d’eau stagnante. Beaucoup de références sont faites aux deux films d’animation, à commencer la reprise du thème principal de la B.O d’origine, ou la scène d’ouverture montrant la création du Major par étapes, une séquence emplie de sensualité et d’une beauté conséquente proche de celle de l’animé, le basset de Batou est également présent, les rues et les appartement plongés une lueur grisâtre sont retranscris avec justesse, sans compter l’intervention plutôt efficace d’une réécriture des gynoïdes, ces Geishas androïdes utilisées comme assassins dans Innocence, la suite du premier Ghost In The Shell, sortie en 2003.

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@Ghost in the Shell – @Paramount Pictures France

Concernant la polémique qui tend à dénoncer le choix de Scarlett Johansson pour le rôle du Major comme illégitime, voire raciste pour ses détracteurs car soit-disant preuve de « whitewashing », force est de constater qu’elle est ici infondée (bien que justifiée dans la plupart des cas), un fait que reconnaît d’ailleurs Oshii lui-même : la portée universelle du manga et les traits du personnage -grands yeux bleus, cheveux châtain foncé- n’induisent pas que l’interprète soit forcément d’origine asiatique. A propos de Scarlett, le réalisateur confie avoir pensé à l’actrice pour ses rôles emblématiques dans Lucy ou le thriller déroutant Under The Skin, des héroïnes similaires qui dégagent une force fantastique teintée de fragilité et (re)découvrent le monde avec une certaine candeur. Le fait que l’actrice incarne déjà aux yeux du grand public ce type de poncif, une seconde peau pour elle désormais, propre au genre SF, était donc un atout artistique sur lequel Sanders n’a pas hésité à jouer. Et à juste titre. Son Major affiche une peau laiteuse, un teint de porcelaine rappelant celui d’une poupée, une texture surréaliste en analogie à sa dualité et un look semblable à celui du manga, les plans insistent également sur sa petite taille qui détonne avec sa cambrure et sa démarche militaire. De plus, le film n’atténue en rien l’importance de la culture asiatique inhérente à Ghost In The Shell, bien au contraire, il la valorise à plusieurs égards à commencer par les décors qui font directement écho au paysage urbain Tokyoïte et situent l’action exclusivement en Asie. Les racines japonaises du Major sont assumées et la spiritualité transparaît ça et là, sur fond de réincarnation et de rapport au corps et à l’esprit. Figurent au casting plusieurs acteurs Japonais, comme l’incontournable et polyvalent Takeshi Kitano dans le rôle de Daisuke Aramaki, chef de la section 9.

Évidemment tous ces aspects ne garantissent pas que le film fasse honneur à l’œuvre d’origine de manière transcendantale et respecte en tous points la subtilité de son l’intrigue. Le but de Sanders n’était sans doute pas de coller parfaitement au manga de Shirow ou aux animations d’une sensibilité rarement égalée de Oshii, mais plutôt de créer une œuvre filmique populaire qui s’en inspire dignement. Là-dessus, on peut dire que le pari est tenu. Sans être vraiment haletant ou palpitant, Ghost In The Shell parvient néanmoins à proposer des choses intéressantes avec une trame qui se tient et s’impose surtout comme l’une des seules adaptations de manga en live-action réussies à ce jour (faut-il rappeler Attack on Titan de Shinji Higuchi et le douteux Deathnote de Netflix à venir). Plus Science-Fiction que Thriller, Blockbuster que Polar, le film de Rupert Sanders n’est pas une expérience vitale mais offrira à ses spectateurs un moment de cinéma mémorable bien empaqueté et de bonne qualité. A tenter !

Une réflexion sur “Ghost In The Shell : Un bon live-action en demi-teinte

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