On a terminé

You’re the Worst et l’authenticité

Après avoir surpris tout le monde en débarquant en plein été 2014, volant ainsi la vedette à toutes les comédies romantiques prévues pour la rentrée passée, You’re the Worst persiste et signe lors de sa deuxième saison avec le ton grinçant mais rafraîchissant qui fait son charme.

Attention, cette critique peut contenir des spoilers si vous n’avez pas vu l’ensemble de la saison 2.

S’il fallait définir You’re the Worst, nul doute que ce qui la décrirait le mieux serait son air de ne pas y toucher. Non seulement c’est une comédie romantique qui joue à ne pas l’être mais c’est surtout le portrait de personnages qui font mine d’être blasés de tout, cyniques et imperméables aux émotions. C’est d’ailleurs sur ce ton que nous les avions quittés en fin de saison 1 qui nous les montrait emménager ensemble sur un prétexte, presque un malentendu.

Or, ce mode ultra-conscient en permanence, revenu de tout et déconnecté, incapable de vivre le moindre instant de manière authentique, se révèle non seulement épuisant mais, au bout d’un moment, simplement intolérable. Le besoin d’habiter sa propre existence, ne serait-ce qu’un moment de temps en temps se fait sentir et la machine à foutaises, à créer du faux, du chiqué s’affole jusqu’à révéler ce qu’elle s’évertue à cacher.

La saison commence pourtant sur un mode léger. On boit, on fait la fête, on boit, on se pète la tête, et on ne se souvient plus de tout lorsqu’on émerge le lendemain. Mais peu à peu, le malaise effleure la surface de ces vies insouciantes. Ainsi, on s’étonne de voir Gretchen et Lindsay se chercher une conscience féministe dans l’épisode 5. On ne comprend pas trop l’enjeu.

Et puis vient l’épisode 7. L’aspect factice, exaspérant, tournant à vide, de chacun des personnages y atteint son paroxysme. La fuite dans l’alcool et les diversions les plus absurdes se révèlent dans toute leur crudité. Les masques ne sont plus que des masques derrière lesquels des visages grimaçants de douleur n’ont plus la force de se cacher. Lorsqu’il n’est plus possible de se mentir à soi-même, la pudeur n’est plus que politesse et l’amusement une pantomime sociale épuisante.

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Plus fragilisée peut-être, mais surtout catalyseur du malaise commun qui les avait dans un premier temps réunis dans une même vision du monde et de la vie, Gretchen se laisse couler pour de bon malgré les tentatives de ses amis pour la divertir. Inquiet mais impuissant, Jimmy l’observe à distance, tente encore un temps de maintenir l’illusion du jeune couple Fun de circonstance. Elle, voit déjà plus loin. Obsédée par une famille du quartier, dont on imagine qu’il pourrait s’agir de leur avenir potentiel, elle admire les mille et un signes de leur coolitude préservée, pour finir par se prendre violemment la vérité en pleine figure, celle que cache si bien cette magnifique façade faite d’accessoires et d’originalité construite. Or, s’il est un point sur lequel nous savons depuis le pilote que ces personnages ne transigeront pas, c’est bien celle du gentil couple modèle de banlieue dont la figure repoussoir seule suffirait à justifier leur union.

Cernée par le factice, les faux débats, les fausses fêtes, les faux modèles, les fausses disputes, Gretchen se recentre sur la seule chose vraie, sa dépression, son vide émotionnel. Pourtant, on n’est pas chez Descartes ici et de cette tabula rasa rien ne pourra se reconstruire sur le seul sujet. Isolé au milieu des diversions qui maintiennent les autres en mouvement, le sujet n’est qu’une coquille vide, vide et asséchée par l’inauthenticité de ce qui l’entoure sans plus arriver à l’atteindre.

C’est pourquoi la fin de la saison surgit comme une main tendue au moment où tout espoir semblait perdu. Ayant tout essayé pour faire revenir Gretchen là où elle l’avait laissé, Jimmy fini par se décider à la rejoindre là où elle s’est échouée. Et c’est de ce geste-là, que rien d’autre ne peut plus justifier que son affection pour elle, de ce geste gratuit et significatif que la vie pourra enfin reprendre forme humaine. Non pas, me semble-t-il, que la vie d’une femme ne puisse avoir un sens que dans l’amour que lui porte un homme, je vous vois venir, mais que quelque chose apparaisse là qui ne peut être feint.

Or, c’est bien de cela que nous parle You’re the Worst. Derrière les excès, derrière le cynisme, derrière la fuite, c’est de la poursuite de l’authenticité d’une génération désabusée qu’il s’agit. Et le moins que l’on puisse dire est que cette saison 2 le fait avec une justesse admirable.

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Ainsi, à côté du couple en formation au centre de la série, cette année nous donne également l’occasion d’approfondir les personnages qui les entourent : Edgar et Lindsay, bien sûr, mais même Paul (le mari de celle-ci), Vernon et Becca (Ex de Jimmy et sœur de Lindsay), et les trois rappeurs, clients de Gretchen. Chacun permet d’aborder ce propos sous des perspectives différentes.

Edgar, personnage dont les défenses sont déjà tombées au moment où on le croise pour la première fois, incapable d’être autre chose qu’authentique au point de se trouver régulièrement blessé par les dérobades de ceux qui l’entourent, apprend paradoxalement à reprendre pied dans sa vie grâce au jeu de l’improvisation théâtrale, dont Jimmy moque le caractère factice. C’est que, si quitter une posture faussement légère se révèle vital pour ses amis, celle-ci n’en est pas pour autant inutile pour fonctionner dans le monde et au milieu des autres.

Lindsay en est le pendant négatif. Non qu’elle soit pure superficialité mais que son intellect semble ne permettre à aucune profondeur de se développer. Du coup, elle aussi est pleinement authentique et honnête dans ce qu’elle nous donne à voir d’elle-même. Malgré les apparences, rien n’est feint chez Lindsay et c’est ce qui lui donne ce caractère unique et rafraichissant. Elle ne joue pas la femme-enfant, elle est littéralement incapable de prendre soin d’elle-même. Et sans doute est-ce parce qu’il a enfin compris que leur relation n’avait rien de faux ou de trompeur que Paul fait le choix de revenir vers elle au dépend du confort que lui offrait son alter-ego féminin.

Enfin, l’évolution du couple Vernon-Becca, au même titre d’ailleurs que les rappeurs, nous montre combien, du faux peut finir par jaillir le vrai. Peu importe le temps qu’il nous permet de gagner sur le dévoilement de ce que nous sommes, le verni des apparences finit toujours par craquer pour le pire, mais aussi pour le meilleur.

En conclusion, cette saison, en parfaite continuité avec la première, étonne par son acuité et son style sans concession. Elle place clairement You’re the Worst parmi les séries qui ont une voix et un propos à tenir sur le monde et sur la vie actuels. Comédie qui n’a pas peur de s’éloigner du rire pour mieux servir la profondeur de ses personnages, elle ne tombe jamais dans les travers nombrilistes de certaines dramédies récentes mais propose avec justesse et générosité un regard qui nous interpelle directement dans nos manières d’être sans oublier pour autant qu’elle est avant tout un divertissement.

Rose Digitale

Sériephile pathologique, également auteur d'un podcast sur les séries : http://seriesfolie.be/podcasts/feed/

Une réflexion sur “You’re the Worst et l’authenticité

  • Alpha

    Bien écrit, je valide tous à 100% mais les 13 épisodes semblent juste avec la profondeur de la série.

    Répondre

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