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James Bond et Daniel Craig : comment refondre un mythe ?

Que les puristes l’acceptent ou non, Daniel Craig est devenu pour la jeune génération la figure emblématique de l’agent britannique James Bond aujourd’hui, malgré le fait qu’il soit issu d’un reboot, mais surtout qu’il soit pour beaucoup aux antipodes des autres James Bond tels qu’on les a connus. A la sortie de SPECTRE, qui fait déjà débat, retour sur la carrière de Craig dans ce rôle qu’il déteste tant.

Nous sommes en 2002. James Bond marche toujours assez bien au box-office mondial, mais la carrière de Brosnan s’achève comme son contrat, et la MGM et Sony cherchent quelqu’un pour remplacer le séduisant irlandais. L’idée d’un reboot, ou en tout cas d’une histoire d’origines, se fait alors, alors que cette notion n’a jamais été aussi présente au cinéma, quand même moins décriée qu’aujourd’hui (il suffit d’entendre les hurlements hystériques du public à chaque idée, sensée ou non, de réadaptation). Bref. L’idée est entérinée, la production engage Martin Campbell, dont le Goldeneye est encore une référence, pour réaliser le nouveau film, adaptation directe d’un des romans de Fleming, Casino Royale.

Bien qu’ayant déjà connu deux adaptations non officielles (l’une, catastrophique, en 1954, et l’autre, parodique un peu brouillonne, en 1967, l’histoire est inconnue du grand public, et permet aux scénaristes de proposer une refonte totale du mythe. Exit le séduisant irlandais, Daniel Craig, patibulaire, agressif et tourmenté, prend le rôle de Bond, provoquant les hauts cris du public. Loin d’être une bête de séduction, c’est la première modification réelle que connaît le rôle depuis Permis de Tuer en 1989, interprétation la plus fidèle aux romans de Fleming.

 

 

James Bond

 

James Bond vit sa première mission, au cours de laquelle il devra affronter le puissant Chiffre, banquier international aux ambitions terroristes. Se liant vite avec Vesper, il devra apprendre qu’on ne peut, dans ce monde, faire confiance à personne …

Ici, point de séduction facile ou de luxure sans autre intérêt que la jouissance : James Bond couche soit par intérêt, soit par amour : on est loin du stéréotype bondien tel qu’exprimé par Sean Connery, et repris par Moore et bien d’autres (bien que Bond n’ait jamais autant aimé l’alcool que chez Daniel Craig). Intéressant pour un personnage qui, par ailleurs, sur bien d’autres plans, n’aura jamais été aussi animalisé , ni instinctif dans sa violence et son comportement général avec autrui, décrit par M (toujours interprétée par Judi Dench, ce qui tranche étonnement avec le côté retold story) comme un bulldozer.

Sa supérieure a raison, Bond n’a jamais été aussi brutal que dans Casino Royale. Dès la scène introductive, d’une violence très crue accentuée par un noir et blanc qui en montre beaucoup, on comprend que l’agent, si il l’exerce souvent, ne prend aucun plaisir à faire son travail, et n’hésite pas à se laisser emporter par celui-ci, quitte à provoquer des remous chez ses supérieurs hiérarchiques : on me souffle dans l’oreillette que l’interprète, ici, ne serait, au vu de ses récentes déclarations, pas si éloigné de son personnage… Le film, en lui-même, est d’une rare violence pour une œuvre si grand-public. Torture pure et dure (Bond avait déjà connu ce genre de mésaventure dans sa mission précédente, mais la scène était sublimée par le générique de début, composé par ailleurs brillamment par Madonna), morts dramatiques de personnages qui n’étaient plus si secondaires que ça, tabassages crus et brutaux, le film n’épargne pas grand chose au spectateur qui ne peut vraiment se sentir diverti.

Loin du cynisme des divertissements contemporains, le film de Campbell ne passe d’ailleurs que rarement la barre du second degré. Porté par un méchant terroriste névrotique et sociopathe en puissance, pleurant des larmes de sang comme par punition pour ses actes, (Mads Mikkelsen, le Hannibal de chez NBC), il porte en son sein des thématiques très lourdes telles que la culpabilité, au centre de tout le récit et même du film qui suivra. Le film, au delà de son ambiance lourde et anxiogène, pleine de méfiance et de cauchemars réels, de traumatismes en tous genres, finit épouvantablement mal, et verra sa suite torpillée et inefficace, hantée par le poids des événements passés. Etonnant pour un film qui, par ailleurs, proposait un générique si joliment enjoué et entraînant, porté par Chris Cornell et un visuel tout en cartes à jouer très réussi.

Parlons-en, d’ailleurs, de Quantum of Solace. Réalisé par Marc Forster, le film est un des plus mal aimés de la licence, la faute à un scénario plat et inefficace, et aux spectres du premier opus qui l’empêchent de décoller vers une vocation plus divertissante. Il n’est pas aidé en cela par le fait d’être une suite directe au premier opus, ce qui n’était jamais arrivé auparavant, les films se contentant parfois de références rapides, ou du retour de personnages emblématiques.

 

James Bond

 

Ne pouvant se remettre de la mort de Vesper, Bond traque impitoyablement les responsables de sa mort prématurée. Rejoint par une femme elle aussi en quête de revanche, il va devoir affronter une effroyable organisation, plus puissante que tout ce qu’il aurait pu imaginer…

Le cru James Bond 2008 est toujours porté par Daniel Craig, dont le personnage peine à évoluer, tant il est hanté par la mort de Vesper. Le film de Forster est porté par la mélancolie, le traumatisme et la méfiance, thématiques polluant cette fois le champ de vision du spectateur, qui loin d’apprécier la volonté de profondeur du film … s’ennuie ferme. Casino Royale, au moins, avait l’effet de surprise, l’excuse de la refonte, du premier jet, perfectible, et se laissait quand même regarder… Ici, les personnages sont lisses, plats Olga Kurylenko présente les mêmes caractéristiques que Bond, n’en est qu’un ersatz et perd tout intérêt et crédibilité, le dialogue entre les deux personnages est peuplé de non-dits handicapants et fait surplomber le film.

Pire, le film en devient même mauvais de par une absence absolue de recherche au niveau de la mise en scène : jamais épiques ni agréables, les scènes d’actions, et surtout la première, sont illisibles, d’une rapidité qui essouffle et et fatigue e spectateur, aussi fatigants et cacophoniques que le générique, rythmé par les mauvaises parties du pourtant intéressant Another Way To Die d’Alicia Keys et Jack White, et témoignant d’une esthétique faiblarde. Dans toute cette désolation cinématographique, l’exceptionnel Mathieu Amalric fait ce qu’il peut pour s’en sortir, mais il ne peut montrer la mesure de son talent tant il est poursuivi par un script anémique, qui réduit son personnage à un faux Sarkozy en manque de pouvoir.

Après près de deux heures laborieuses de film, rendues supportables par une histoire assez bien écrite et vraisemblable d’atteinte à l’environnement et de vengeance personnelle, l’intrigue Vesper s’achève enfin alors que Bond retrouve le mari de sa compagne disparue, et lui laisse contre toute attente la vie sauve. Les critiques du film sont assez mitigées, le film rentre dans ses frais au box-office mais laisse un goût amer au monde entier : il est temps que James Bond évolue, ou disparaisse.

Ce qui nous amène en 2012, à la sortie d’un des meilleurs films de la saga toute entière, véritable renaissance du Bond que l’on connaissait avant Craig, et du divertissement comme on l’attendait : Skyfall. L’intrigue handicapante des deux premiers opus étant enfin conclue, la saga a enfin les coudées franches pour proposer, presque, un redémarrage à zéro, pouvant se contenter de référencements sans se baser sur quelques détails non élucidés que ce soit.

 

James Bond

 

Alors que sa dernière mission a mal tourné, le laissant pour mort, une liste d’agents infiltrés fait le tour du monde, de par la faute d’un mystérieux agissant, Silva … Le MI6 mis à mal, Bond va devoir retrouver cet homme et comprendre ses motivations …

Réalisé par Sam Mendes (American Beauty), le film propose avec raison de trancher autant scénaristiquement que thématiquement avec ses deux prédécesseurs, mais est surtout une révolution au niveau du ton, beaucoup plus fun, sans toutefois être trop léger, il ne s’agirait pas de faire tomber l’hommage dans le cynisme. Ce n’est pourtant par le Skyfall d’Adèle, tragique et magnifique, porté par un générique gothique à souhait, qui allait amener cette légèreté en début de film…

Hommage, oui, il y a. Entre le gun barell (déjà, certes, vu dans Quantum, entraperçu dans Casino, mais prenant ici toute sa mesure d’hommage), le James Bond Will Return, mais aussi l’arrivée de Moneypenny, Q et d’un M masculin, le film se référence énormément à la série originale, et ce sans perdre sa propre identité. Celle-si se caractérise, une fois de plus, par la plongée dans les abysses de la psyché de Bond. Si il y a un intérêt au revival opéré en 2006 par la saga, c’est bien celui-là : 007 cesse enfin de n’être qu’un numéro pour devenir un être humain, avec ses failles, ses doutes et ses rédemptions. Ici, c’est le passé de l’agent qui est au centre du film, si bien que toute sa dernière partie se situe dans la maison familiale. Luttant contre lui-même, Bond trouve enfin ses marques et se libère, ce qui permet à Daniel Craig, enfin, de cesser d’être une machine et de montrer son indéniable potentiel, que l’on avait déjà pu apercevoir dans le Dream House de Jim Sheridan, ou le Millenium de David Fincher.

Si on met à part la tombe où l’on peut apercevoir le nom « Bond » (on se demande comment les producteurs justifieront ça au prochain changement d’acteur), ce choix scénaristique est très cohérent avec le personnage tel qu’il est peint depuis le début de la série, et apporte enfin une justification à l‘origin story.

La principale qualité du film de Sam Mendes est d’avoir su faire la part entre profondeur et divertissement. Enfin, on s’amuse, en prend plaisir à regarder les péripéties de l’agent 007, ce qui n’était pas arrivé depuis Meurs Un Autre Jour. Skyfall se permet des blagounettes (le coup des Wolkswagen Mini), des références amusantes, un side-kick rigolo en la personne de Q, et même quelques séquences absurdes, comme celle au musée d’art moderne. Le méchant, interprété par le grand Javier Bardem (l’exceptionnel No Country For Old Men), est enfin bondien, cesse d’être réaliste pour être haut en couleur, avec un plan et une manière de la concrétiser absurdes, et des répliques d’anthologie (la scène de drague…). Si il est toujours aussi misogyne et désagréable, Bond couche enfin par plaisir, le tout est moins bestial et sombre qu’auparavant malgré quelques saillies (la mort de Séverine en tête, accompagnée de celle de M), le spectateur sort enfin de Bond comblé, convaincu d’avoir assisté à un film équilibré, qui laisse enfin entrer la part de pop-corn qui caractérise la saga 007.

 

James Bond

 

Et maintenant ?

Spectre sort demain, on est en droit de se dire qu’il continuera dans cette lancée puisque traitant de l’organisation terroriste présente dans les films de Connery. En allant plus loin, on peut s’interroger sur le futur de Bond, alors que Craig ne peut plus voir le personnage en peinture, ne se voir plus d’avenir avec lui malgré un contrat qui, apparemment, le lie encore. Changement d’acteur, d’époque, tout est possible pour une saga qui en a vu d’autres, pourvu qu’une cohérence de ton soit toujours là. Quel acteur pour interpréter Bond, à présent ? On envisage toutes les possibilités, les plus enthousiasmantes étant sans doute les participations de Hugh Jackman (qui n’a sans doute plus grand chose à faire depuis son départ des X-Men) et d’Henry Cavill, sans aucun doute très crédible mais peu réaliste quand on connait l’emploi du temps très chargé de l’acteur. Tout est possible dan ce rôle encore, et toujours, possible à redéfinir, ce qui explique sa grande flexibilité, mais surtout sa longévité au cinéma, avec 27 films, officiels ou non, à son actif.

C’est aussi ce qui fait la force et l’intérêt de Bond : sa mesure. Elle fait des films de qualité, mais aussi agréables à voir. C’est le risque avec le cinéma du divertissement d’aujourd’hui, plus cynique que jamais, de sorte qu’on se sent obligé de faire très sombre et sérieux pour rester à la page. Mais cela, ayant marché avec Batman et Superman, ne peut pas fonctionner avec Bond, tend ce dernier est quelque chose qu’eux ne seront jamais : une institution cinématographie ancienne, 24 films à son actif, tous cohérents si on excepte l’accident Quantum. C’est un travail d’équilibriste que de garder une identité tout en évident la redite. Mais Skyfall, ainsi que tous les Brosnan, les Dalton, les Moore, le Lazenby et les Connery, ont montré que cela était possible.

AMD

Adrien Myers Delarue

Résidant à Paris, A.M.D est fan de Rob Zombie, de David Lynch et des bons films d'horreurs bien taillés. Sériephile modéré, il est fan de cultes comme X-Files, Lost, ou DrHouse, ou d'actualités comme Daredevil ou Bates Motel.

4 réflexions sur “James Bond et Daniel Craig : comment refondre un mythe ?

  • Tion

    Oui Daniel Craig a dit qu’il préférait se tailler les veines plutôt que de rejouer James Bond….demain. Normal qu’après deux ans à bosser sur un film on ait envie de changer d’air, de penser à autre chose. Donc, non Daniel Craig ne déteste pas le rôle mais comme il l’a très bien expliqué si vous demandez à quelqu’un qui vient de courir un marathon s’il veut en refaire un (de suite) il vous enverra vous faire voir. Concernant son avenir, je pense qu’il y a une sorte d’option pour qu’il rempile et au vu du succès de SPECTRE, EON fera tout pour qu’il reste encore un peu.

    Pierce Brosnan est Irlandais pas Ecossais 😉
    Même si le temps peut paraître long devant Quantum, il ne fait pas deux heures, à peine 1h45.

    J’ai pas bien compris en quoi le gun barrel se Skyfall avait une autre portée que celui de Quantum …Il est toujours au mauvais endroit et après avoir vu SPECTRE on se rend définitivement compte que l’argument de Mendes (ça collait pas avec le premier plan du film) ne tient pas.

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  • Tion

    AH et Skyfall c’est 2012 pas 2014 😉

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    • Adrien Myers Delarue

      Merci pour toutes ces précisions ! Je vais répondre dans l’ordre.
      Sur Craig, il a quand même bien précisé qu’il n’aimait pas le personnage, qu’il le trouvait misogyne et insupportable, et qu’il ne le ferait que pour le fric si il revenait. Sans détester, on peut percevoir qu’il a de l’animosité envers le personnage.

      Sur Brosnan, simple ignorance de ma part, et il est vrai que j’aurais dù être plus précis sur Quantum, parler de 2h était indicatif plus qu’une précision sur la durée exacte du film !

      Sur le gun barell… Là j’ai un avis sur la question, je trouve qu’au vu du nombre d’hommages et de références présentes en fin de film sur Skyfall, il me paraissait bon de le mettre en fin, comme une cerise sur le gâteau ! Alors que dans Quantum, il tombait comme un cheveu sur la soupe … Aucun avis sur le fait de ne l’avoir pas mis au début du film, je trouve dommage que Mendes l’ait justifié ainsi.

      Même problème sur la date de sortie que sur le reste, ignorance de ma part.

      Merci de m’avoir lu si attentivement !

      AMD

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  • Tion

    Oui j’ai bien tout lu parce que (malgré les petits détails^^) j’ai trouvé ça intéressant.

    Sur les déclarations de Craig, le fait est que Bond est misogyne et insupportable. Qu’on aime ou non le personnage. Je revoyais le documentaire « Everything or Nothing » qui célébrait les 50 ans de la franchise et on y voit Dalton expliquer que Bond is the dirtiest, roughest, meanest, nastiest, brutalist hero we ever seen. Pourtant je ne pense pas que Dalton détestait Bond, au contraire, il le trouvait intéressant à jouer. Après le personnage en tant que tel est de fait détestable mais cela n’implique pas que le jouer le soit. Il y a ici sans doute deux façons de voir les choses.

    Sur Skyfall je comprends mieux et j’avoue que je joue les puristes en rechignant sur le fait qu’il ne soit pas au début. Pour moi c’est ce qui indique dès le départ que ce qu’on va voir à l’écran n’est pas juste un autre film d’action, c’est un James Bond (même s’il y a des navets dans le lot mais ça c’est un autre débat).

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