Critiques de films

The Homesman : Highway to hell

2 sélections à Cannes en 2 films réalisés : Tommy Lee Jones accomplit avec brio ses premiers tours de manivelle. Après le très convainquant western contemporain Les Trois Enterrements de Melquiades Estrada ( qui lui avait valu un prix d’interprétation masculine et un prix du jury ), Tommy Lee Jones nous offre, une fois de plus, sa vision mythifiée et esthétique du Far Ouest US, le tout dans un road movie associant le dramatique, le tragique, avec les qualités d’un western. Eléments d’explication.

Chez Tommy Lee Jones, l’impression et la sensation proviennent en premier lieu de l’image. C’est ainsi que dans Trois Enterrements il filmait les terres mexicaines, le Rio Grande dans toute sa longueur, mais aussi le Texas, utilisant à outrance le plan large, le montage long, mettant ainsi une forte esthétique visuelle en avant et déployant son récit aussi loin que les terres américaines ou mexicaines. Rebelote dans ce second western moins contemporain où la photographie est absolument sublime, tableau d’un Ouest qui toutefois, si il est mythifié dans sa forme, se voit démythifié dans le fond. En cette fin de XIXe siècle, trois femmes mariées perdent la raison, pour des raisons différentes. L’influente église du village de Loup décide de les envoyer dans l’Iowa aux bons soins de la mère Altha Carter ( Meryl Streep, dans un petit rôle ). Pour cela, la célibataire désespérée Mary Bee Cuddy ( excellente et touchante Hillary Swank en femme borderline ) se porte volontaire. Au moment de partir, elle découvre un homme au bord de la mort par pendaison, George Briggs ( Tommy Lee Jones dans un rôle sur mesure, parfait en vagabond bourru ). Contre le sauvetage de sa vie, Cuddy obtient de Briggs une aide pour le voyage vers l’Iowa.

S’inspirant, je cite, du « travail de Donald Judd et Josef Albers » ( l’un théoricien minimaliste, l’autre de l’art optique ), mais aussi de la « composition géométrique de Kurosawa », chose que l’on remarque rapidement au vu du faciès de George Briggs faisant penser à Toshiro Mifune, et de la facon d’associer l’arc narratif avec la profondeur de l’image, comme dans Rashomon ou Chien Enragé, Tommy Lee Jones laisse carte blanche à un Ouest dont le territoire infini n’est pas tant porteur de rêve que ca. Avant d’arriver dans un Iowa pensé comme l’oasis guérisseur mais au final totalement corrompu par ce qui paraît être l’idée d’un modèle de population uniforme, Briggs et Cuddy en bavent au point de sombrer dans la folie

homesman

Car c’est bien la folie qui rythme cette histoire de fous ( ou plutôt de folles ). A cette époque sans voitures, motos ou autres formules 1, un voyage à la John Ford dans un Ouest aride, peuplé de dangers comme les Indiens, les coyotes, les bandits, un voyage de 5 semaines avec 3 folles à l’arrière comme celui qu’entreprend Cuddy est extrêmement éprouvant ( notamment la scène où Cuddy, avant de retrouver Briggs, s’égare dans les steppes désertiques, en revenant toujours devant la même pierre tombale ). Et au final, on se demande bien qui est la plus folle, entre ces 3 femmes et cette femme en manque de mari, se jetant désespérément sur le premier homme venu pour satisfaire son besoin hormonal, ou bien ce vagabond qui entend rester en dehors des sentiers battus ( y compris du mariage ), quitte à régler ses solutions par la violence ?
Tommy Lee Jones, que l’on découvre quelque peu féministe, mettant en scène comme personnage principal une femme déterminée cachant une fragilité extrême (qu’Hillary Swank incarne très justement), prend finalement parti pour ces femmes aliénées par un Ouest « sauvage » en rupture avec les manières « civilisées » qu’on leur a apprises. Les femmes sont au centre du film, mariées comme seules, inadaptées à cet environnement hostile, qui a raison, justement, de leur raison. Soumises à ces aléas qui peuvent d’un coup d’un seul ruiner leur vie, à la domination de maris parfois violents, à de durs travaux et à un manque d’épanouissement criant, les femmes sont victimes. Non préparées à ce « wild wild west » filmé dans toute sa grandeur, elles sont une proie facile. C’est ainsi qu’a contrario d’une aide, les maris voyant en elles des bêtes dont il faut taire l’existence ( un personnage du film dit d’ailleurs que « quand il s’agit de folie, les gens se taisent » ) elles sont prises en main par une puissante Eglise faisant main basse sur des brebis égarées du troupeau. Mais nos héros (ou plutôt anti-héros) n’agissent-ils pas eux-mêmes dans leur propre intérêt ? Briggs ne fait-il pas ce périple, du moins initialement, que pour sauver sa peau et se faire de l’argent alors qu’il avait pris possession illégalement d’une maison ? Cuddy ne va-t-elle pas dans l’Est juste pour échapper à une terre où les maris ne sont pas à sa convenance et vice versa ? Peu à peu, les intentions se dévoilent : la solidarité entre les personnages n’est pas de mise, et si Cuddy s’impose comme mâle dominant par la pointe de son fusil, elle est bien obligée de collaborer avec la figure protectrice d’un Briggs qui est encore le seul outsider d’une société régie par le profit et l’intérêt, comme le montre la scène mémorable entre le propriétaire d’un hôtel vide n’accueillant personne et Briggs. Le film applique une force intense sur ces personnages éprouvés par un destin qui semble toujours contre eux
Allant au delà de la question de l’opposition entre civilisation et terres sauvages, Jones explore les raisons de l’aliénation dans cette Amérique sclérosée. On regrette juste un montage de scènes coupées trop prématurément alors qu’on préférerait une vraie plongée dans les folies respectives de ces dames. Western qui aurait pu s’élever un peu plus haut, mais qui est toutefois de bien bonne facture, arrondissant de plus ses contours par quelques figures ( Meryl Streep, James Spader) qu’on est content de voir toujours en vie.

Leo Corcos

Critique du peuple, par le peuple, pour le peuple. 1er admirateur de David Cronenberg, fanboy assumé de Doctor Who, stalker attitré de David Tennant.

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